
Il n'en est rien et si ces espèces nous semblent absentes c'est qu'elles font souvent les frais de l'entretien régulier des infrastructures urbaines. Quasi invisibles à un stade de maturité avancé elles restent pourtant bien présentes et nombreuses à l'état de plantules et à ce jeu de la reconquête d'espaces minéralisés, ce sont les espèces exotiques qui sont les plus rapides.
En effet, si l'on vidait la ville de Toulouse de tous ses humains, la chênaie qui est la forêt naturelle dans notre région, ne reviendrait pas de sitôt. Pas plus que son cortège de ligneux que sont l’érable champêtre, le charme, le tilleul, les sorbiers etc. Non, la ville en tant que milieu pionnier qui accumule couche après couche de nouvelles surfaces artificielles est le domaine de reconquête d'espèces robustes, ayant une croissance rapide, pouvant pousser sur des sols nus, pauvres en nutriments, dans des espaces étriqués, ombragés, supportant des arrachages et des coupes à outrance et tolérant de grandes variations d'approvisionnement en eau.
Au gré du vent
C'est en déambulant dans les rues de Toulouse et en prenant le temps d'observer dans les caniveaux, au pied des murs, sur les murs et les toitures où se niche et comment se développe cette flore ligneuse que l'on peut se rendre compte de la diversité des espèces présentes. Malgré l'éloignement de milieux sauvages, le centre urbain n'est pas à l'abri de l'arrivée de semences qui permettent l'implantation de ces espèces. De nombreux jardins particuliers, quelques parcs publics hébergent déjà de nombreuses espèces exotiques mais aussi indigènes qui pourvoient à cet apport de semences. Les vents, fréquents et souvent violents permettent le transport depuis ces jardins, mais aussi depuis des milieux périurbains, des diaspores des grands arbres par exemple. Plusieurs espèces profitent de ce transport et sont fréquentes sur nos trottoirs comme l'Ailanthe, Ailanthus altissima, originaire de Chine : ses grandes graines ailées, des samares, ressemblent à celles des frênes et sont facilement emportées sur de grandes distances. Une fois coincées dans une fissure du trottoir, les germinations sont nombreuses, pouvant soulever le bitume, et le développement de la plantule est rapide si l'endroit est un peu oublié, parfois plus d'1m dans l'année. Lui aussi originaire de Chine et échappé des jardins, le Paulownia, Paulownia tomentosa, est un arbre magnifique. Les grosses capsules de cet arbre très prolifique produisent chacune plusieurs centaines de petites graines ailées qui se nichent dans les moindres interstices des murs et trottoirs. A l'état de plantule il est assez fréquent et on peut voir quelques individus spectaculaires poussant à la verticale sur des murs ou des bords de toiture. Sa rapidité de croissance est remarquable et il fissure sans problème l’asphalte pour se faire de la place. Ses feuilles juvéniles très larges sont spectaculaires.
Pawlownia, Paulownia tomentosa - Avenue de Lyon
Ailanthe, Ailanthus altissima - Rue de la Providence
Plutôt familier de la ripisylve d'Amérique du Nord et auparavant utilisé dans la région comme espèce ornementale pour son joli feuillage, l'Erable négundo, Acer negundo, voyage grâce à ses samares et il est fréquent à l'état de plantule sous les grilles d'égouts et en bas des gouttières quand celles-ci sont équipées d'un petit bac d'écoulement, à leur jonction avec le trottoir. Il partage quelquefois cet habitat avec l'Érable sycomore, Acer pseudoplatanus, indigène, et ces deux espèces dépassent rarement le stade de plantules dans ces espaces limités. De moins en moins employé comme arbre d'alignement à cause du développement de plusieurs pathogènes fatal à l'arbre, le Platane du Midi, Platanus x hispanica, hybride issu du croisement d'une espèce américaine et d'une espèce méditerranéenne, est encore bien présent à Toulouse avec plusieurs vieux survivants encore debout. Les nombreux spécimens du Canal du Midi et des Allées Jules Guesde produisent une grande quantité de fruits hérissés de poils raides (très irritants pour les yeux) emportés par le vent. Ceux-ci se ressèment de manière très épisodique sur les trottoirs toulousains et leur plantule est caractéristique avec de jeunes feuilles pulvérulentes blanchâtres. Très héliophile, l'Arbre aux papillons, Buddleja davidii, originaire de l'Est de l'Asie, est plutôt un arbuste rarement présent au sol dans les rues toulousaines. On peut l'observer néanmoins sur les toits et dans les gouttières ou bien sur le macadam des tabliers de pont, dans des endroits un peu délaissés. Mais dans ces milieux sans sol et très secs, il ne devient jamais volumineux. Il offre cependant de belles floraisons qui attirent les quelques papillons encore présents ici.
Platane, Platanus x hispanica - Place Anatole France
Toujours apportées par le vent, trois espèces indigènes se rencontrent aussi sur nos trottoirs : le Frêne à feuilles étroites, Fraxinus angustifolia, tire son épingle du jeu et arrive à se développer notamment sur les lisières de parkings dans les fissures entre goudron et mur et peut prendre rapidement une véritable envergure importante. Certains spécimens oubliés sont d'ailleurs préservés et entretenus comme s'ils avaient été plantés. Si l'on retrouve quelquefois des plantules de Peuplier blanc, Populus alba, perchées sur des balcons et toitures, c'est surtout le Peuplier noir, Populus nigra, espèce héliophile et pionnière par excellence que l'on rencontre fréquemment. Il se développe dans les caniveaux et au bord des trottoirs, parfois protégé dans son ascension par du mobilier urbain. Ces jeunes plants de peuplier exhalent déjà par leurs bourgeons une résine jaune, poisseuse, qui sert aux abeilles à élaborer la propolis -aux grandes vertus médicinales. Au printemps, on peut observer le comportement d'abeilles domestiques venant récolter ce liquide sur de jeunes peupliers des trottoirs.
Frêne, Fraxinus angustifolia - Faubourg Bonnefoy
Peuplier noir, Populus nigra - Embouchure
Avec l'aide des oiseaux
Le milieu urbain est (encore) bien peuplé en animaux de tous poils
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surtout de toutes plumes- et plusieurs ligneux ont des fruits et graines dispersés par les oiseaux et les humains, en particulier le Merle noir, l'Etourneau sansonnet et dans une moindre mesure la Corneille noire qui tolèrent tous l'habitat urbain et apprécient la présence de nombreux fruitiers exotiques et indigènes utilisés comme espèces ornementales. Depuis quelques années la Perruche à collier participe elle aussi à la dispersion de certains fruits. L'Ecureuil roux, quant à lui, est un bon disperseur de noix mais reste cantonné aux parcs et jardins de la ville préférant enterrer ses réserves dans le sol plutôt que sous le bitume.
Merles et étourneaux sont de grands frugivores quand la saison le permet, et en ville ces deux espèces trouvent des arbres en train de fructifier à toutes les saisons. Parmi ceux-ci, quatre intéressent particulièrement nos oiseaux et sont capables de se développer sur les murs et trottoirs. Le Sureau noir, Sambucus nigra, est une espèce nitrophile : tolérante à des taux élevés d'azote dans le sol (enrichi par l'urine et les excréments), il est aussi capable de pousser n'importe où y compris en épiphyte pour peu qu'il y ait un petit amoncellement de matière organique dans la couronne d'un arbre. Il produit une très grande quantité de fruits très appréciés des merles qui dispersent les graines dans leurs excréments. Il y en aurait de grandes quantités sur les trottoirs et parkings toulousains malheureusement il ne supporte pas d'être taillé ou arraché et finit par dépérir alors que c'est un arbuste magnifique bien dense et très longévif. Curieusement, il est extrêmement rare dans les jardins et les spécimens que l'on trouve sur les trottoirs sont donc quasiment tous issus de spécimens poussant de manière sauvage.
Dans la même catégorie mais répandu dans les jardins particuliers où il est utilisé pour faire des haies et donc plus résistant à la coupe, on trouve le Troène luisant, Ligustrum lucidum, originaire de l'Est de l'Asie. Ce grand arbuste qui atteint 7m de hauteur et qui garde ses grandes feuilles luisantes en hiver a l'avantage de produire ses fruits en automne-hiver à une période où, en ville, peu de fruits sont disponibles. Les merles, qui en sont très friands, assurent ainsi la dispersion en grande quantité de cette espèce. Les plants se développent sur les trottoirs et dans les regards d'égouts et supportent sans broncher d'être coupés régulièrement. Certains spécimens mesurant à peine quelques 20 ou 30 cm ont ainsi souvent près d'une dizaine d'années.
Mais si la ville devait être réellement abandonnée à une reconquête végétale, ses murs et trottoirs seraient certainement recouverts par deux espèces ligneuses dispersées elles aussi par les oiseaux, le Micocoulier et le Figuier.
Le Micocoulier, Celtis australis, est le bel arbre que l'on connaît, plutôt présent dans les milieux méditerranéens mais anciennement planté dans les parcs toulousains et sur quelques alignements célèbres comme celui de la rue Ozenne. Pendant longtemps, le Micocoulier de la cathédrale St Etienne a été le plus vieil arbre de Toulouse. Ce bel arbre, au fût gris, lisse et droit, qui nous fait immédiatement penser à une espèce tropicale, produit une grande quantité de petites cerises à chair farineuse et sucrée qui entoure un gros noyau délicatement orné. Peu connus, ces fruits sont pourtant comestibles et savoureux. Ils sont très appréciés des étourneaux. Ils se retrouvent ainsi tout naturellement dispersés par les volatiles et se ressèment abondamment souvent au pied des arbres d'alignement, là où subsiste encore un peu de sol apparent. Au cimetière de Terre-Cabade, plusieurs spécimens qui ont poussé sans aide écartent maintenant les pierres tombales, l'inconvénient de cette espèce demeurant, bien sûr, son développement. C'est en effet un des arbres les plus majestueux de notre flore.
Micocoulier, Celtis australis- Cimetière Terre Cabade
Mais c'est bien le Figuier, Ficus carica, qui recouvrirait les murs et trottoirs de notre ville si on le laissait faire : très apprécié des humains et des oiseaux pour ses fruits charnus et sucrés, ce chameau du règne végétal, archéophyte originaire du Moyen-Orient, élabore avec presque rien un appareil racinaire et végétatif considérable et extrêmement tenace. "Le figuier laisse toujours des héritiers" est une citation bien connue et tellement vraie en ville où, bien qu’arraché ou piétiné, il repousse toujours. Le plus fameux d'entre eux pousse depuis une vingtaine d'années dans un mur de la Grande rue St Nicolas : taillé chaque année, il met un point d'honneur à repousser, toujours plus vigoureux, du moignon qu'on lui laisse et que l'on ne peut plus arracher. D'autres plants, nombreux, sont présents sur les piliers de briques orientés au sud du Pont NeufCertains spécimens inaccessibles nécessitent des talents indéniables de grimpeur afin de pouvoir les élaguer. Il est très présent sur tous les trottoirs mais aussi dans de multiples bouches d'égouts essayant désespérément de sortir à la lumière.
Figuier, Ficus carica- Hôtel Dieu
Figuier, Ficus carica- rue de la Dalbade
Plus anecdotique mais lui aussi régulièrement présent, on peut voir dans les anfractuosités profondes des caniveaux et trottoirs de nombreuses plantules du Palmier chanvre, Trachycarpus fortunei. Apprécié dans les parcs et jardins comme un des rares palmiers résistant au froid, cette espèce élégante originaire de l'Est de l'Asie, produit à maturité de longues grappes de fruits bleutés que consomment aussi les oiseaux (notamment la perruche à collier). Les grosses graines délaissées roulent au sol et se nichent dans les grandes anfractuosités souvent garnies de débris en tout genre. La germination est longue tout comme la croissance de la plantule et il est rare de l'apercevoir à son stade de feuillage définitif caractéristique. Mais il serait du plus bel effet sur les trottoirs, prenant peu de place à maturité puisque les palmiers ne présentent pas de croissance en épaisseur.
Palmier chanvre, Trachycarpus fortunei - rue Saint Eloi
Des arbres bien familiers
Enfin, nos propres déplacements et notre consommation de fruits engendrent aussi un reboisement involontaire de la ville. Quand nous jetons négligemment un noyau d'abricot, de pêche voire d'avocat, qui pourrait parier quant à la future germination de cette graine ? Et au développement de la plante ? C'est pourtant ce qu'il se passe parfois et quelques abricotiers et pêchers, dispersés dans la ville égaient ainsi par leur floraison précoce la monotonie du minéral de nos constructions. Parmi les quelques avocatiers présents à Toulouse, un fameux se développait tranquillement coincé entre le tablier du pont St-Pierre et un mur de l'hôpital de la Grave jusqu'à une récente réhabilitation du lieu.
Avocatier, Persea americana - Pont Saint Pierre
Quelques espèces plus rares ont été aussi croisées sur les trottoirs toulousains, certaines atteignant un joli développement. Parmi celles-ci on peut noter le Laurier-sauce, le Catalpa, le Houx, l'Arbre de Judée, des pins, le Chêne vert, le Pittosporum, le Saule roux, l'Albizia, le Févier d'Amérique, l'Orme champêtre et certainement d'autres qui n'ont demandé qu'à s'épanouir mais qui ont rencontré l'ordre urbain... Parmi les lianes ligneuses de nos trottoirs, on peut citer aussi le Lierre et la Vigne vierge, tous deux dispersés par les oiseaux.
Laurier sauce, Laurus nobilis - rue Périole
Houx, Ilex aquifolium - boulevard Marie Curie
Arbre de Judée, Cercis siliquastrum - rue Bourbaki
Saule roux, Salis acuminata - rue Bernard Délicieux
En attendant cet hypothétique reboisement sauvage des trottoirs du centre-ville, nous aurions beaucoup à gagner à laisser se développer certains spécimens des espèces présentées qui se développent dans des espaces où ils ne gênent ni la circulation automobile ni les déplacements piétonniers. Ces espèces, exotiques ou indigènes, sont de véritables plantes cicatrisantes des milieux hyper minéralisés que nous nous évertuons à bâtir. Leur résistance au milieu urbain, leur caractère ligneux, leur port et la place qu'elles occupent une fois matures permettent un ombrage important et bénéfique du site, égayant agréablement le cadre de vie des habitants tout en jouant le rôle de "parapluie" en permettant la présence de plus petites espèces de végétaux, de champignons et de faune.
Abricotier, Prunus armeniaca - Digue de halage quai de Tounis
Article rédigé par Boris Presseq, botaniste au Muséum de Toulouse
Mis en ligne le 2 avril 2019