
Hibou MHNT.STR.35 cc by-sa Ibrahim Farès, Muséum de Toulouse
La grande famille des ondes électromagnétiques
Il est impossible de parler de la
lumière sans dire qu'elle
appartient à la très vaste
famille des ondes électromagnétiques ainsi nommées parce qu'
elles associent des propriétés électriques et magnétiques. De grands physiciens, Faraday, Hertz, Maxwell…, ont attaché leur nom à leur découverte et à leur étude au cours du XIX
e siècle.
Le public les découvre dès le début du XXe avec les liaisons et transmissions radio qui se généralisent rapidement. Très vite aussi on allait se rendre compte que de nombreux autres phénomènes (lumière visible, infra-rouge, ultra-violet, rayons X, rayon gamma
) étaient en fait des ondes de même nature se distinguant les unes des autres par leur longueur d'onde et leur fréquence. Ces ondes peuvent se propager dans de nombreux milieux dont l'air et le vide. Dans ce dernier, elles voyagent à la vitesse de 300.000 km/s, vitesse qui paraît considérable mais qui est ridiculement faible à l'échelle de l'univers (1). Selon leur longueur d'onde et leur fréquence, et bien qu'étant physiquement de même nature, elles présentent des propriétés bien différentes car l'énergie qu'elles portent est directement proportionnelle à leur fréquence. Aux ondes, en effet, sont associés des « grains de lumière » - les photons – porteurs chacun d'une énergie E = hv (2) .

Domaine longueur d'onde-fréquence (spectre) des ondes électromagnétiques cc by-sa 3.0 Benjamin Abel via wikimedia
En allant des grandes vers les très petites longueurs d'onde
, leur spectre(3) s'étend des ondes radio aux rayons gamma à l'extrême gauche du spectre c'est-à-dire
des moins énergétiques vers les plus énergétiques. Dans ce spectre on peut tout de suite remarquer que ce que
nous appelons lumière (ce que nos yeux perçoivent)
n'est en fait qu'une minuscule partie du spectre électromagnétique qui s'étend en gros de 0,4 à 0,8 micromètres (µm).
Du rôle de la lumière dans la libération de l'oxygène
D'après les récentes estimations basées sur des découvertes de structures fossiles, les
premières traces de la Vie sur Terre apparaissent
dans des roches sédimentaires vieilles de 3,8 à 3,5 milliards d'années soit environ 1 milliard d'années après sa formation. Ces traces ressemblent à des
organismes « primitifs », les cyanobactéries ou algues bleues, qui,
grâce à leurs pigments photosynthétiques tels que la chlorophylle, ont
enrichi l'atmosphère de la Terre en oxygène. Par la photosynthèse et les réactions chimiques induites par la lumière, les plantes captent le gaz carbonique et, en présence d'eau, utilisent ce carbone pour synthétiser des molécules organiques nécessaires à leur métabolisme tout en libérant de l'oxygène.
… et donc dans la complexification de la Vie
Cette libération d'oxygène dans l'atmosphère a sans doute eu des conséquences décisives sur la complexification de la Vie. Des
travaux récents dus à A. El Albani de l'université de Poitiers ont montré que
la Terre avait connu un pic du taux d'oxygène entre 2,3 et 2 milliards d'années
(4). Ce chercheur a même découvert au Gabon,
dans des roches sédimentaires âgées de 2,1 milliards d'années, des
organismes pluricellulaires fossiles pouvant atteindre plus d'une dizaine de centimètres alors qu'il était communément admis que la Vie pluricellulaire ne s'était développée qu'à partir de 600 millions d'années (faune d
'Ediacara)...
Ces organismes sont apparus de manière concomitante à ce maximum d'oxygène.

Un des fossiles découverts au Gabon (diamètre 12 cm) cc by-sa 3.0 Ventus55
Cette libération d'oxygène a aussi permis la formation de l'ozone (ou oxygène triatomique) qui a protégé et protège toujours les organismes vivants du rayonnement ultraviolet, plus énergétique que la lumière visible, capable de briser ou endommager les molécules organiques.
Enfin n'oublions pas que
la lumière visible et infrarouge que le soleil nous dispense généreusement réchauffe notre planète permettant le plein développement de la Vie....
Des structures photosensibles à l'oeil
Les continents et les mers étant baignés par la lumière du soleil, l'évolution a rapidement doté les animaux d'organes sensibles à la lumière, leur permettant d'obtenir de précieuses informations sur leur environnement. Sans parler d'yeux à proprement parler, de nombreux animaux possèdent des cellules spécialisées photosensibles susceptibles de les renseigner sur l'intensité de la lumière et sa direction. On les trouve chez des invertébrés et même des protozoaires.
En fait il n'existe pas qu'un modèle d'oeil mais de multiples structures dont les performances sont différentes car dépendant des caractéristiques de la lumière du milieu. De telles structures sont apparues dans de nombreux
phyllums (= embranchements) de manière indépendante.
Les yeux ne sont donc pas des structures homologues dérivant d'un ancêtre commun mais des adaptations souvent convergentes pour des milieux semblables dont la fonction est d'analyser la lumière !
Dès l'explosion cambrienne
(faune de Burgess –
autour de 520 millions d'années), des
yeux complexes apparaissent dans de nombreux embranchements,
une évolution sans doute liée à la nécessité pour ces organismes de se déplacer au milieu d'un environnement changeant contrairement à ceux de la faune d'
Ediacara (600 millions d'années) qui semblent avoir été surtout fixés ou peu mobiles:

Opabinia équipé de ses cinq yeux... CC by-sa Nobu Tamura, via wikimedia
La structure des yeux est très variable notamment en ce qui concerne le mode de captation de la lumière.
Au cours du temps, les pressions sélectives dues aux modifications des habitats et modes de vie vont encore contribuer à modifier la structure et la fonction des yeux.
L'histoire de l'oeil commence sans doute par la formation d'une
opsine primitive c'est- à-dire une protéine qui,
en liaison avec un
chromophore (groupement d'atomes responsable de la couleur dans un composé organique),
donne une molécule appelée
rhodopsine. Ce type de molécule responsable de la photosensibilité est largement répandu dans le vivant.
Les mécanismes mis en jeu sont complexes, mais sans entrer dans le détail on peut dire que
les photons reçus (la lumière) interagissent avec la molécule de rhodopsine et provoquent sa modification, transformée en influx nerveux par des processus électro-chimiques.

Modèle théorique de l'évolution de l'œil chez les vertébrés cc by-sa Toony, via wikimedia
Bien différents suivant les organismes,
les yeux peuvent être caractérisés par :
▪ leur
sensibilité à l'intensité lumineuse et à son domaine (intensité min et max)
▪ la
perception des couleurs (ou non) et le domaine de longueurs d'onde perçu suivant le type d'opsine et de chromophore
▪ la
formation d'une véritable image pour certains yeux plus élaborés, ce qui implique des organes fonctionnant suivant les lois de l'optique (par exemple le
cristallin jouant le rôle de lentille). C'est le cas pour de nombreux vertébrés.
De même
les yeux peuvent avoir deux structures principales :
▪ soit
une chambre oculaire unique comme chez les vertébrés et les céphalopodes
▪ soit
une multitude d'yeux élémentaires appelés
ommatidies.
Ces yeux composés (yeux à facettes) se rencontrent chez la majorité des arthropodes et ce
même chez les plus primitifs tels que
Anomalocaris de la faune de Burgess et les
trilobites tout au long de l'ère primaire :

Phacops rana avec ses yeux à facettes (Dévonien de l'Ohio ~ 400 millions d'années) cc by-sa Jean-Pierre Ulmet.
Les yeux composés des insectes peuvent être formés d'un
très grand nombre d'ommatidies (8.000 chez l'abeille, 25.000 pour la libellule...). Chaque facette va donner une information permettant au « cerveau » de l'animal de reconstituer une image certes peu précise mais avec un champ de vision très large.
Ce type d'oeil permet aussi une détection de mouvements très rapides (qui ne connait pas la difficulté d'attraper une mouche avant qu'elle ne s'envole...!).

Oeil composé de libellule cc by-sa Nono64, via wikimedia commons
En plus de leurs yeux à facettes beaucoup d'insectes possèdent
aussi des yeux plus élémentaires appelés ocelles situés sur la tête et destinés à capter essentiellement l'intensité lumineuse.
La vision des couleurs
La vision des couleurs est bien différente d'un animal à l'autre. Elle repose sur l'existence de cellules sensibles à un très petit nombre de couleurs de base. Pour les yeux à chambre unique, tels que ceux des vertébrés, ce sont les cellules dites en cônes qui sont différenciées en plusieurs types, chacun ayant une sensibilité à une couleur de base donnée. Les autres couleurs sont reconstituées à partir d'un dosage variable de ces couleurs de base (proportion de cellules de chaque type excitées). Le nombre de ces couleurs de base varie de un à quatre suivant l'animal considéré. On parle ainsi d'animaux mono, di, tri ou tétrachromates.
Les mammifères ainsi que certains poissons possèdent en général une
vision dichromate (c'est le cas de nos chats...).
Les primates, insectes et d'autres variétés de poissons ont une vision trichromate. Les
humains sont trichromates avec comme vision de base des cellules en cônes sensibles respectivement au
rouge, au vert ou au bleu. En combinant ces trois couleurs avec des proportions différentes on admet que
l'oeil humain peut voir théoriquement 8 millions de couleurs, en pratique plutôt 1 à 2 millions ce qui est déjà considérable.

Synthèse additive des couleurs à partir des couleurs de base (bleu, rouge, vert).
Pour tous les animaux, l'essentiel de la vision se situe dans ce que nous appelons le visible même si selon leurs couleurs de base leur vision colorée est bien différente de la nôtre, cependant
nombre d'entre eux « débordent » du visible soit vers l'infrarouge soit vers l'ultraviolet. Par exemple certains insectes ou mammifères (souris) voient vers l'ultraviolet alors que les reptiles voient l'infrarouge.
Parlons de l'œil humain

-
par une grande dynamique du domaine d'intensité lumineuse perçue grâce au diaphragme que constitue la pupille.
-
par sa sensibilité aux lumières faibles grâce à ses cellules en bâtonnets, environ 100 millions, par contre insensibles à la couleur.
-
par sa sensibilité à des nuances de couleurs très proches (cellules en cône de la rétine, environ 6 millions).
- par la finesse des images obtenues sur la membrane sensible qu'est la rétine tapissée des cellules photosensibles.
- par son pouvoir d'accommodation c'est-à-dire la possibilité d'avoir des images nettes sur la rétine pour des objets à des distances très variables grâce au cristallin, lentille d'entrée de l'œil, déformable.
Structure de l'oeil humain cc by-sa Rhcastilhos, via wikimedia commons
La vie est-elle possible sans lumière ?
De nombreux organismes vivent dans des milieux très faiblement éclairés voire dans l'obscurité totale. C'est le cas des faunes abyssales. Dans ces grandes profondeurs, il est courant que des
mécanismes chimiques leur permettent d'émettre de la lumière dite froide à l'instar de nos familiers « vers luisants » (qui n'ont d'ailleurs rien de vers mais sont bien des insectes…).
Cette émission de lumière est une adaptation qui peut présenter de nombreux avantages en termes de repérage (quête de proies pour se nourrir) ou de leurre pour échapper à des prédateurs ou de signaux sexuels destinés à attirer l'attention du ou de la partenaire.
En l'absence de lumière certains animaux ont développé d'autres mécanismes pour appréhender leur environnement ; tel est le cas des chauves-souris qui peuvent se diriger en émettant des ultrasons et en analysant les échos reçus.
Où la physique et la chimie ont imposé leurs lois…
Il est légitime de se poser une question plus en amont et plus philosophique que la simple étude des adaptations et mécanismes du vivant pour être sensible à la lumière :
pourquoi finalement la Vie a-t-elle « choisi » d'être sensible à cette toute petite gamme de longueurs d'onde (que nous appelons le visible) coincée entre l'infrarouge et l'ultraviolet ?
La réponse a sans doute à voir avec les lois de la physique et de la chimie. Vers l'infrarouge, l'énergie des photons serait sans doute insuffisante pour exciter efficacement les molécules qui créent la photosensibilité ; au contraire, du côté de l'ultraviolet, l'énergie de cette lumière est capable, on le sait, de provoquer des dégâts irréparables sur les fragiles molécules qui œuvrent dans le vivant…
En plus, petite cerise sur le gâteau, c'est dans le visible que le soleil rayonne le maximum d'énergie… !!!
Article rédigé par Jean-Pierre Ulmet, volontaire du Museum (20/05/15) - Mis en ligne le 30 juin 2015.
(1) On utilise la vitesse de la lumière pour chiffrer les distances dans l'univers. Ainsi on parle d'années-lumière. L'année-lumière (symbole al) est la distance parcourue dans le vide par la lumière en une année soit environ 10 000 milliards de kilomètres. D'après les plus récentes estimations le diamètre de notre galaxie serait de l'ordre de 150 000 années-lumière !
(2) Dans cette expression h est la constante de Planck, constante universelle qui intervient dans de nombreux domaines de la Physique.
(3) Le spectre des ondes électromagnétiques est également évoqué dans l'article : « L'eau est partout sur notre planète, mais qu'en est-il ailleurs...? » de la même rubrique Parlons Sciences.
(4) Concernant l'âge d'événements géologiques passés, les valeurs données sont toujours en référence au présent sans devoir le préciser à chaque fois.
Télécharger la bibliographie Lumière réalisé à l'occasion de l'année 2015, année de la lumière !