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Des aigles, des vautours et des hommes : mythes et légendes des rapaces

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Des aigles, des vautours et des hommes : mythes et légendes des rapaces
Comment les oiseaux mythologiques expliquent-ils l’ambivalence du monde ? A travers les mythes et les contes, le lien entre les hommes et les rapaces s'exprime sous la forme de symboles contrastés, mais qui laissent apparaître de nombreux thèmes récurrents. Certes, les récits véhiculés oralement sont spécifiques à chaque culture et il faut se garder de toute généralité. Pourtant, on retrouve bien des mythes fondateurs communs à toutes les cultures. Les caractéristiques naturelles de ces oiseaux se révèlent alors hautement symboliques et prétexte aux interprétations...

VOLER EN PLEINE LUMIERE ... ?

Dans bien des contes, les rapaces diurnes sont l'émanation des rayons du soleil. Ils symbolisent la lumière, la clairvoyance, voire l'immortalité…

 

Quel était le pouvoir de l’oeil d’Horus ?

Horus, le fils d'Isis et d'Osiris, dieu égyptien  à la tête de faucon est appelé à devenir la manifestation du pouvoir solaire sur Terre, celle du Pharaon sur l' Egypte. Cette association au soleil fait ainsi référence à la vue perçante de l'oiseau. D'après le mythe, Horus, aurait perdu un œil dans le combat mené contre son oncle Seth pour venger l'assassinat de son père. Au cours du combat, Seth lui arracha l'œil gauche, le découpa (en six morceaux, d'après une version de la légende) et jeta les morceaux dans le Nil. À l'aide d'un filet,Thot repêcha tous les morceaux sauf un. Thot le rajouta et rend donc à Horus son intégrité vitale. Cet œil est aussi appelé l'oeil d'Oudjat (qui signifie complet). Les égyptologues le considèrent comme un hybride d'œil humain et d'œil de faucon, il aurait ainsi le pouvoir de « tout voir ».

Horus (auteur Jeff Dahl)

 

 

Comment renaître de ses cendres ?

Le Phénix, présent dans la mythologie égyptienne, greco-romaine, ainsi qu'en Chine, est clairement associé au soleil par la couleur rouge de ses plumes (Phénix provient du grec ancien φοῖνιξ / phoînix, « rouge pourpre »), ainsi qu'au feu qui embrase son nid tous les 500 ans. Cet oiseau fabuleux a été longuement décrit par certains auteurs de l'Antiquité. Semblable à un aigle royal, le phénix vivait, disait-on, plusieurs siècles. Incapable de perpétuer sa race parce qu'il n'existait pas de femelle de son espèce, il devait cependant assurer sa descendance : lorsqu'il sentait sa mort proche, il édifiait un nid de plantes aromatiques et d'herbes magiques, au centre duquel il s'installait après y avoir mis le feu. De ses cendres renaissait un autre phénix, qui s'empressait d'aller porter les restes de son père à Heliopolis, où était adoré le dieu Soleil, dont l'oiseau était l'incarnation. Pour les Anciens, le phénix était même le symbole de l'immortalité de l'âme.

Le Phénix par Friedrich Justin Bertuch, 1790-1830

 

 

Le Simorgh est avant tout issu de la culture perse.
D'après la légende iranienne, il est dit que cet oiseau est si vieux qu'il a déjà vu trois fois la destruction du monde.
Pendant tout ce temps, le Simurgh a tellement appris qu'on pense qu'il possède le savoir de tous les âges.
Ici c'est la clairvoyance qui est associée au soleil et à la lumière : le Simorgh possède le don de parole, il connaît la médecine, guérit des blessures de flèches, pratique la césarienne.…

Le Simorgh enlevant Zal (voir plus bas)(crédit inconnu)

 

 

 

 

 

 

OU VOLER LA NUIT ... ?

Le rapace nocturne, quant à lui, est associé à sa vision crépusculaire, ainsi qu'à la lumière de la lune. Liée sans doute pour cette raison au monde féminin, la chouette est le symbole de la clairvoyance et l'aptitude à trouver des solutions aux conflits, à sortir de l'ignorance.

Mais la symbolique de la nuit s'étend également au malheur, à la souffrance et à la mort.

 

Athena "glaukopis", "aux yeux de chouette", tient une part très importante dans la pensée grecque, puisqu'elle est la déesse de l'intelligence, de la sagesse, la protectrice des artisans, mais aussi la déesse de la guerre. On l'appelle La déesse aux yeux pers (du latin persus, bleu violet), couleur évoquant la nuit.

Athena est parfaitement définie dans ses attributions divines à travers le symbole de la chouette. Comme la chouette silencieuse, invisible, elle accompagne les grands héros de la mythologie. Grâce à la ruse d'Athena et d'un bouclier miroir que celle-ci lui donna, Persée retournera la force pétrifiante de la Gorgone contre elle-même. De la même manière, alors qu'Herakles doit lutter contre les rapaces aux plumes, becs, et ongles de bronze, créés par le dieu de la guerre violente Arès, Athena lui propose de répondre à l'attaque par la ruse, transformant deux boucliers en cymbales qui affoleront les oiseaux du lac de Stymphale.

Tétradrachme athénien représentant Athéna

 

Le Hibou, dans les récits amérindiens, est symbole de sagesse et de connaissance :
à celui qui veut devenir chaman, il est conseillé d'avoir, "comme l'écureuil, la connaissance de plantes, et aussi la clairvoyance du hibou dans la nuit."

Toutefois, "Quand le Hibou chante, l'indien meurt..."
Même dans son meilleur rôle, le hibou demeure mélancolique et presque toujours associé à la fin de la vie.

Hibou issu de l'art haïda (Canada)

 

 

 

 

UN BATTEMENT D’AILE POUR UNE PROTECTION DIVINE

A travers tous les mythes, les ailes des aigles, celles des vautours, sont les attributs des génies protecteurs. Les ailes confèrent aux personnages la rapidité, l'efficacité et la médiation avec le monde des dieux.

Lorsque les ailes sont associées à un corps humain, la créature est avant tout messagère des dieux, investie d'un pouvoir divin, bénéfique et protecteur.

 

Ainsi, l'hippogriffe (aigle à la queue de dragon) ou le griffon (buste d'aigle greffé sur un arrière de lion) est parfois lié au culte d'Apollon. En effet, dans la culture grecque, le griffon représentait le gardien du trésor d’Apollon. Celui-ci en aurait même adopté la forme pour surprendre les faveurs d'Aria, la fille de Cléochos de Crète.

 

Dans le grand récit de mythologie indienne, Le Mahabarata, l'aigle géant Garuda, avatar du dieu Vishnu, vole au secours du héros en lui servant de monture pendant le combat. Il est décrit comme la plus puissante des créatures ailées, le roi de tous les oiseaux, si puissant qu’aucun dieu ne peut le défaire au combat, un seul de ses battements d’ailes pouvant provoquer de puissantes tornades. Il pourrait même atteindre l'espace grâce à ses puissantes ailes. Il est aussi considéré comme immortel et invincible. Il combat le plus souvent les serpents, symboles représentatifs du subconscient, des éléments cachés de l'esprit. Il a donc, selon le mythe, la capacité extraordinaire de percevoir parfaitement la façon dont fonctionne notre esprit. Aujourd'hui encore, Garuda est très présent en Extrême-Orient : il est l'emblème de l'Indonésie, de la monarchie de la Thaïlande, de la capitale de la Mongolie.

 

Hippogriffe (auteur inconnu)

 

L'emblème d'état de l'Indonésie est appelé Garuda Pancasila. La partie principale du blason est l'oiseau mythique d'or Garuda avec une protection(un bouclier) sur son coffre(poitrine) et un rouleau saisi par sa jambe porte la devise nationale : "Bhinneka Tunggal Ika", signifie grossièrement "l'Unité dans la Diversité". Cinq emblèmes de la protection(du bouclier) représentent Pancasila, les cinq principes de la philosophie nationale de l'Indonésie. Les nombres(numéros) de plumes ont dû symboliser la date(le rendez-vous) de Proclamation indonésienne d'Indépendance; 17 plumes sur chaques ailes, 8 plumes de queue, 19 plumes de queue supérieures (sous la protection(le bouclier), au-dessus de la queue) et 45 plumes de cou; tous symbolisent 17-8-1945; 17ème août 1945. Garuda Pancasila a été conçu par le Sultan Hamid II de Pontianak et a été adopté comme le blason national le 11 février 1950.

 

 

Dans les récits amérindiens, le grand aigle est omni-présent. Il représente le Grand Esprit. Ses plumes sont souvent utilisées dans des rituels sacrés. On dit qu'il peut voyager dans le royaume spirituel tout en restant lié à la terre et à la matière. C'est lui qui emmène sur ses ailes les âmes des défunts les plus méritants.

 

Lorsque Osiris, roi mythique de l'Egypte ancienne et époux de la déesse Isis, fut tué par Seth, son frère jaloux, son corps dispersé fut reconstitué par Isis. Afin de faire naître un fils de leur union, Isis parvint à rendre sa vigueur à son époux en se métamorphosant en milan. Battant vivement des ailes, elle lui rendit ses facultés de procréation. Ainsi fut engendré le dieu Horus.

 

Dédale, le grand architecte de la Grèce, fuit la Crète et la colère de Minos. Il fabrique alors deux paires d’ailes, pour son fils Icare et lui-même. Il met l'enfant en garde : « Ne descends pas trop prés de l'eau, et surtout, ne t'approche pas du soleil, car la cire qui retient les ailes pourrait fondre. » Mais l'enfant, grisé par le vol, s'approche du soleil, il tombe et se noie dans la mer. Ce mythe trouve tout son sens dans la recherche de la mesure, comme instrument essentiel de l'intelligence humaine, s'opposant ainsi à l'Hubris (démesure, orgueil), qui fait le malheur des hommes et des peuples. La "mesure" est figurée par l'équilibre des ailes de l'oiseau, messagère et protection des Dieux.

Dédale et Icare par Charles Landon, Musée des beaux-arts de la dentelle

 

Au-delà des ailes, la plume revêt souvent un caractère magique, car elle témoigne de la présence incarnée de l'esprit. Par exemple, la plume du Simorgh est magique. Celui qui la trouve sera protégé pour toujours et pourra demander l'aide de Simorgh, quoi qu'il arrive. Dans la mythologie égyptienne, la plume de la déesse Maat est la mesure "étalon"que l'âme du défunt ne doit en aucun cas dépasser, lors de la pesée.

 

 

DES SERRES ACEREES POUR DOMINER LE MONDE

 

Les serres sont les griffes au bout des doigts chez les rapaces. Longues et courbes, elles peuvent s'enfoncer dans la proie que le rapace cherche à capturer ou immobiliser, puis transporter. Bien que très puissantes, elles ne permettent pas généralement de causer la mort. Malgré tout, permettant d'enlever des proies pour les conduire dans des endroits d’où elles ne peuvent s’échapper, les serres symbolisent la toute puissance inflexible et dévorante.

 

Durant l’Antiquité, les sirènes n'avaient pas l'apparence de femmes-poissons mais bien d’oiseaux à visage de femme et possédaient des serres puissantes (ou des pattes de lion) pour tuer les marins. La nature hybride de la sirène évoquée d'ailleurs par Ovide serait considérée comme une punition qui les relie au monde infernal

Ulysse et les sirènes, stamnos attique à figures rouges, vers 480-470 av. J.-C., British Museum.

 

 

 

Cependant, ces serres pouvaient s'avérer de puissants outils et permettre aux Dieux de sauver les mortels. Ainsi Ganymède, considéré comme « le plus beau des mortels » est enlevé par Zeus, transformé alors en aigle, à l'aide des puissantes serres de l'oiseau pour en faire son amant. Ganymède deviendra alors échanson (officier chargé de servir à boire à un roi un prince ou tout autre personnage de haut rang) des Dieux et demeurera immortel.

L'enlèvement de ganymede, Gabriel Ferrier

 

Le Simorgh, lui aussi, « enleva » un mortel : Zal, enfant abandonné au sommet d'une montagne par son père car né avec des cheveux blancs. Alors qu'il était pourtant en quête de nourriture et qu'il songea d’abord à en faire sa proie, il fut pris d’affection pour cet enfant. Il l’agrippa dans ses serres et l’emporta dans son nid pour l'élever. Plus tard, il effectuera une césarienne à l'aide de son bec pour faciliter la naissance du fils de Zal.

 

 

 

 

 

 

Aux origines de nombreux mythes et légendes, les rapaces ont depuis longtemps été admirés et vénérés. Éléments essentiels de la vie des humains, ils ont participé à la construction de nos cultures. Aujourd'hui davantage oubliés, leur existence est même menacée par de nombreux facteurs. Et pourtant, outre leur rôle primordial dans l'eco-système biologique, leur disparition représenterait également une perte importante pour l'essence même de nos mythes fondateurs.


À ÉCOUTER

Ce conte est disponible à l'écoute dans l'exposition RAPACES. Vous pouvez l'écouter chez vous en cliquant sur le lien ci-dessous.

« La plume magique » raconte l'histoire d'un petit garçon toulousain qui, en vacances chez son grand-père dans les Pyrénées, se retrouve en possession d'une plume magique. Il se transforme alors en homme-oiseau et voyage autour de la Terre. Au cours de ses aventures, il est chargé par Urubu, le vautour bicéphale, génie de la forêt amazonienne, de protéger un talisman précieux. Pour cela, il doit se rendre au pays de Simorgh, oiseau mythique de la mythologie persane proche du phénix.

Ce texte original a été imaginé par la conteuse Laurence Corbonnois. Il est construit autour des grands thèmes de l'exposition RAPACES [Octobre 2017 – 29 avril 2017] du Muséum de Toulouse : la dualité des rapaces diurnes et nocturnes, le vol, l'alimentation et l'anthropophagisme, la prédation, et la nécrophagie, les cinq sens….
Parallèlement, les différents symboles de la mythologie des rapaces sont mis en scène. Enfin, le conte est construit à partir des mythes et des objets présentés dans l'exposition...

 

 

 


Article rédigé par Annabel Saint-Paul avec la participation de Marie-Françoise PIcot, professeur de français, et d'après les notes de Laurence Corbonnois, conteuse.

Mis en ligne le 6 novembre 2017


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