
La dure réalité des chiffres : constats et état des lieux quant aux disparités entre sexes
D'après l'ISU, l'Institut de Statistiques de l'UNESCO, seulement 30 % des chercheurs en science, dans le monde, seraient des femmes.
Pire, alors qu'elles représentent 50 % des effectifs dans la filière scientifique du baccalauréat, la part des doctorantes parmi l'ensemble des doctorants en sciences, selon BCG, le Boston Consulting Group, ne serait que de 25 % !
Les femmes ne restent majoritaires que dans les sciences sociales ou biologiques.
Pourtant, nous assure ou rassure l'étude américaine du site Fatherly, ce sont bien aujourd'hui 41 % des filles qui rêveraient de devenir médecin, chercheur-e ou ingénieur-e contre seulement 32 % des garçons.
En outre, 50 % des femmes sont concentrées dans seulement 12 des 87 familles professionnelles existantes répertoriées en France alors que la répartition des hommes est plus dispersée. ¼ des diplômés des écoles d'ingénieurs sont des femmes qui représentent, a contrario, 70 % des étudiants en lettres et sciences humaines.
Ces chiffres peuvent nous paraître surprenants car nous tendons à sous-estimer le problème de la représentation des femmes en science en surévaluant systématiquement la proportion des femmes scientifiques au sein des étudiants, chercheurs et prix Nobel.
Ainsi, une étude réalisée à la demande de La Fondation L’Oréal par OpinionWay en septembre 2015 montre que la majorité des Européens sondés, (Allemagne, Espagne, France, Italie et Royaume-Unie), est convaincue que 28 % des femmes occupent les plus hautes fonctions académiques dans les matières scientifiques au sein de l'Union Européenne, alors que le pourcentage réel n'est que de 11 %.
Et même si 66 % des sondés trouvent cela choquant, seuls 3 % des prix Nobel scientifiques ont, à ce jour et depuis leur création en 1901, été attribués à des femmes.
15 femmes seulement ont été distinguées pour leurs travaux scientifiques sur les 558 prix attribués en physique, chimie ou médecine.
C'est donc un fait avéré : les femmes sont minoritaires dans les postes à responsabilité dans les sciences, les techniques, l'innovation et l'ingénierie, le domaine scientifique demeurant aujourd'hui une culture au masculin qui pénalise l'égalité, culture dans laquelle il est difficile pour une femme de se faire une place aux postes de haut niveau où pouvoir rime avec décision.
Le sexisme comme entrave à l'ascension ?
Il est clair que plus on approche le sommet, moins on y trouve de femmes.
Depuis plus de 60 ans, par exemple, les femmes sont présentes en nombre, dans les secteurs du vivant (65 %), au CNRS (50 %) mais n'y gravissent que rarement les échelons.
Cela est d'autant plus signifiant que 60 % des Européens sondés ont une perception plutôt dévalorisante des femmes, estimant que celles-ci seraient bien moins disposées que les hommes à devenir des scientifiques hors pair : pour 67 % des sondés (et le pourcentage est identique pour les femmes et les hommes), elles seraient dépourvues de capacités comme esprit rationnel, scientifique et analytique, sens pratique, persévérance et rigueur...
Nos mêmes sondés ne sont plus que 10 % à penser que les femmes ont réellement des aptitudes pour la science !
Dans un autre sondage réalisé par Mediaprism pour le Laboratoire de l'égalité, plus de 55 % des personnes interrogées pensent que les différences de comportement entre les sexes seraient dues à des raisons biologiques et 37 % à des raisons d'éducation.
Si aujourd'hui, 83 % des cadres dirigeants sont des hommes et qu'on privilégie la nomination de ceux-ci à des postes à responsabilité au détriment des femmes, serait-ce donc moins une affaire de compétences qu’un manque d’ambition des femmes au travail, lié en partie aux représentations sociétales, véhiculant des préjugés durables sur la capacité qu’ont les femmes à embrasser des carrières scientifiques ?
Des stéréotypes tenaces, profondément ancrés, à déconstruire

L'association des mots science et femme a toujours conduit à de nombreux préjugés ou idées reçues néfastes, voire à des interprétations abusives ou des clichés sexistes. A croire que les femmes seraient trop belles pour les sciences...
En effet, souvent, les représentations femmes/hommes et les modèles sociaux véhiculés par la société montrent que, quels que soient les domaines d'activité, les femmes sont assignées à des rôles stéréotypés.
Aujourd'hui, alors que les femmes représentent plus de la moitié de la population active, perdurent encore des stéréotypes de sexe, représentations mentales construites dès notre plus jeune âge, en famille, à l'école, au travail et véhiculés par les médias, assignant des rôles préétablis et hiérarchisés aux hommes et aux femmes. Et c'est au nom de ces schémas mentaux que les femmes ont été exclues des sciences pendant des siècles et qu'on les a délibérément écartées du pouvoir.
De fait, ces croyances, largement partagées, qui reposent sur des caractéristiques attribuées aux femmes et aux hommes en fonction des normes de féminité et de masculinité de la société et des milieux dans lesquels chacun évolue, définissent les stéréotypes de sexe ; eux-mêmes, induisent des discriminations directes, indirectes et institutionnelles.
Comme mentionné plus haut, les filières scientifiques sont dominées par les hommes ; les femmes, qui ont intériorisé, comme des « prêts-à-penser », les clichés selon lesquels ce sont des domaines réservés aux hommes qui auraient, supposément, des capacités cognitives supérieures aux leurs, n'optent donc pas pour ces filières là. Elles ne s'y sentent pas légitimées, voire même s'y sentiraient méprisées, stigmatisées, dévalorisées, dans un statut certain d'infériorité.
En outre, au-delà d'un déséquilibre quantitatif, en suggérant que les femmes sont moins capables que les hommes à faire de la science, on génère manque de confiance en soi, peur de l'erreur et peur de l'échec, ceci engendrant un comportement d'autocensure des filles dans leurs choix d'orientation, choix conditionnés par une perception négative de soi.
Le cerveau comme les neurones n'ont pas de sexe
Copie-écran du court-métrage "Mesures du cerveau d'hier à aujourd'hui" présenté dans l'exposition temporaire Les Savanturiers [octobre 2015 - août 2016] - Dessin : Gilles Rapaport, production Sim&Sam.
Le préjugé toujours présent stipulant qu'il existerait une différence anatomique, entre les cerveaux de femmes et d’hommes, que ceux-ci ne seraient pas câblés de la même façon voire même que celui des hommes serait plus gros, est totalement infondé : les hommes et femmes ont les mêmes capacités d'apprentissage et d’adaptation.
Lise Eliot, maître de conférences en neurosciences à l'université Rosalind Franklin de Chicago, conteste ainsi l'idée selon laquelle un hippocampe (zone dédiée au traitement des émotions et à la mémoire) plus grand chez les femmes justifierait leur tendance à avoir une plus grande expressivité et communication émotionnelle et une meilleure mémoire verbale.
Or, la zone du cerveau dédiée à la sensibilité n'est pas plus développée chez les femmes que chez les hommes et la taille du cerveau varie selon les individus et non en fonction du sexe.
Pour cette diplômée d'Harvard, docteur de l'Université Columbia, il n'existe pas de cerveau rose à opposer à un cerveau bleu, pas de prééminence de l'inné sur l'acquis : rien n'est programmé à la naissance.
L'avancée des connaissances en neurosciences est là pour l'attester, notamment l'éclairage apporté par la plasticité cérébrale ou neuroplasticité : notre cerveau reste malléable, souple et adaptable.
Non seulement, la neuroplasticité sous-tend l'apprentissage et la mémoire, mais permet aux neurones de modifier tout au long de la vie les interactions qu’ils ont entre eux et avec leurs cellules nourricières, témoignant de l’adaptation permanente du cerveau aux changements de l’environnement physique, culturel et social. Dynamique, le cerveau se façonne en fonction de notre histoire individuelle. Ce combat autour d'un cerveau non genré, c'est aussi celui mené depuis 10 ans par Catherine Vidal, neurobiologiste, directrice de recherche à l'Institut Pasteur, spécialiste de la physiologie cérébrale qui travaille inlassablement à démontrer que rien n'est jamais figé dans nos neurones et lutte contre les idées reçues sur les différences cérébrales entre les sexes.
Entre «effet Matilda »...
Un autre stéréotype concerne la prétendue suprématie des hommes en science alors que souvent à l'origine d'avancées considérables, nombre de femmes ont œuvré dans l'ombre d'un père, d'un frère, d'un mari ou d’un patron, qui eux sont passés à la postérité.
Rosalind Franklin cc by sa Robin Stott
En 1993, l'historienne de la science, Margaret W. Rossiter, qui porte un certain intérêt au sort fait aux femmes dans la mémoire scientifique, met en lumière un nouveau concept qu'elle intitule « l'effet Matilda » : il désigne l'occultation, le déni, le vol ou la minimisation systématique de la contribution pourtant importante voire décisive des femmes à la recherche et à d'importantes découvertes ; leur travail sera très souvent attribué à des collègues masculins plus visibles et plus influents : or, plus on publie, plus on est cité, sollicité et réputé brillant.
Ce concept qui permet de « repérer les mécanismes cachés de la domination masculine », nommé d'après la militante des droits des femmes américaine Matilda Joslyn Gage, est illustré par un certain nombre d'exemples : ainsi, Rosalind Franklin, dont le rôle primordial dans la découverte de la structure en « double hélice » de l’ADN a été passé sous silence. Décédée en 1958 à l'âge de 37 ans, cette scientifique cristallographe n'a pu être récompensée du Prix Nobel de Médecine et sa contribution est restée lettre morte pendant des années.
Citons aussi Marietta Blau, physicienne autrichienne connue pour sa découverte de la fission nucléaire ou encore Jocelyn Bell, astrophysicienne britannique qui a découvert le premier pulsar. C'est son directeur de thèse, Antony Hewish, qui obtint indûment le Prix Nobel de Physique en 1974. Et que penser, enfin, du sort fait à Marthe Gautier, femme médecin, découvreuse oubliée de l'anomalie génétique responsable de la trisomie 21 ?
...et « plafond de verre »
École polytechnique cc by-sa J.Barande
A cet « effet Matilda » s'ajoute une barrière invisible mais omniprésente : celle du « plafond de verre ».
On offre aux femmes la possibilité de participer aux décisions mais pas d'exercer une réelle influence. De fait, ce phénomène, très présent chez les femmes en science, contrarie leur progression professionnelle par rapport à celle des hommes et assoit une véritable inégalité des chances : malgré leur diplôme, malgré leur qualification, aux postes de pouvoir et de décision, la prépondérance reste masculine.
Cette répartition des rôles selon le sexe est très présente dans notre système éducatif qui fourmille d'exemples connotés que les élèves finissent par intérioriser.
Ainsi, le sexe masculin demeure le référent universel du genre humain.
Par ailleurs, l'articulation entre vie privée et vie professionnelle, la maternité, la mobilité sont préjudiciables aux femmes car lourdes de conséquences sur leur carrière et constituent des entraves à l'évolution des mentalités. Rattachée encore prioritairement à la sphère privée, la femme connaît très souvent des difficultés à concilier travail et famille.
Cette représentation non paritaire et très stéréotypée des femmes conduit à ce qu’elles soient souvent prises entre un « plafond de verre » bloquant pour leur carrière et un « plancher collant » qui les maintient dans des fonctions à moins hautes responsabilités.
Il est venu le temps de la reconnaissance
A compétences égales, une femme est moins valorisée qu'un homme.
Or, l'égalité entre femmes et hommes dans les domaines scientifiques passe par la valorisation de l'héritage des femmes scientifiques d'hier, héritage à préserver, transmettre et promouvoir, qui permettra sans doute à d'autres femmes de se projeter dans des carrières qui semblent réservées uniquement aux hommes ; mais aussi des femmes scientifiques du présent par la présentation de modèles professionnels féminins actuels, valorisants et inspirants. Indéniablement, les filles manquent de modèles féminins auxquels se référer alors même qu'ils existent et qu'ils sont légion !
A toutes les époques, les femmes scientifiques ont contribué de manière très notable à l'évolution du savoir et au progrès.
Si en physique et chimie c'est d'abord la figure de l’icône et pionnière Marie Curie qui émerge pour ses travaux sur la radioactivité et sa découverte du radium et du polonium ou celle de sa fille Irène Joliot-Curie pour ses travaux de synthèse de nouveaux éléments radioactifs, n'oublions pas qu'en 2009 c'est bien l’israélienne Ada Yonath qui obtient le Prix Nobel de chimie pour avoir identifié la structure moléculaire du ribosome par cristallographie.
Si, en physiologie ou médecine, l'américaine Theresa Cori-Radnitz obtient en 1947 le Prix Nobel pour avoir décortiqué le métabolisme du glycogène, 3 femmes seront récompensées en 2008 et 2009 : d'une part la française Françoise Barré-Sinoussi, pour la découverte du virus de l'immuno-déficience humaine à l'origine du SIDA (VIH) et d'autre part, l'australienne, Elizabeth H. Blackburn et l'américaine, Carol W. Greider, pour leur co-découverte de la télomérase, une enzyme qui contrôle la longueur des chromosomes. Encore plus récemment, la chinoise Youyou Tu a reçu le Prix Nobel pour avoir développé un traitement naturel contre le paludisme (artémisinine). C’est la douzième femme et la première chinoise à recevoir le Prix Nobel dans cette discipline depuis sa création en 1901 ; au total 47 femmes ont été récompensées par un Nobel contre 817 hommes.
Des femmes, des parcours et des prix à valoriser
Claudie Haigneré cc by-sa Pierre-Yves Beaudouin
Certes, le grand public connaît Claudie Haigneré, première femme française astronaute et présidente d'Universcience, mais a-t-il jamais entendu parlé de Claudine Hermann, physicienne française, première femme nommée professeure à l'école Polytechnique en 1992 et vice présidente de l’Association Femmes & Sciences, d'Yvonne Choquet-Bruhat, première femme élue membre de l'Académie des Sciences en 1979 dans la section Sciences mécaniques ou encore de la franco-britannique Margaret Buckingham, biologiste du développement, professeur-e émérite à l'Institut Pasteur, médaille d'or 2013 du CNRS, la plus prestigieuse récompense scientifique française ?
Il paraît important aujourd'hui de favoriser la promotion de jeunes femmes scientifiques à l'échelle mondiale et plus que jamais nécessaire de présenter des exemples de femmes dans les métiers scientifiques et techniques, les différents prix, récompenses et médailles devant eux-mêmes servir de modèles.
Ainsi, depuis la création du programme L'Oréal-UNESCO « Pour les femmes et la science », en 1998, ce sont 2250 récompensées dans plus de 110 pays et 87 lauréates distinguées pour l'excellence de leurs travaux scientifiques dont deux qui ont remporté par la suite un Prix Nobel.
Par ailleurs, de nombreuses initiatives pilotes sont mises en œuvre en France, notamment dans le cadre de projets européens permettant de promouvoir les métiers scientifiques auprès des jeunes, leur en parler et valoriser le statut des femmes qui les pratiquent afin d'inciter et encourager les femmes à devenir des scientifiques. Il serait temps de les faire connaître. Je pense, notamment, à l'Association Femmes & Sciences, fondée en 2000 par Huguette Delavault qui promeut l’image de la science chez les femmes et l’image des femmes dans les sciences et incite les jeunes filles à s’engager dans des carrières scientifiques et techniques.
Il est plus que jamais nécessaire de rendre visible la science conjuguée au féminin en travaillant sur les représentations mentales sexuées des orientations et des métiers, en les déconstruisant et en surmontant les préjugés, de faire évoluer les mentalités en renforçant la sensibilisation et la formation aux inégalités homme/femme et à la présence des stéréotypes de sexe dans la mesure où ils sont des freins à l'égalité.
A l'heure où la Commission européenne recommande aux états membres de « produire suffisamment de diplômés en sciences, mathématiques et ingénierie », on constate que le vivier féminin est insuffisamment exploité alors qu'il pourrait sans conteste être un vecteur d'accélération du développement économique et social.
Il faut véritablement donner toute leur place aux femmes dans la science tout à fait aptes à mener de front carrière professionnelle et vie personnelle car elles sont porteuses de valeurs différentes et complémentaires à celles de hommes et pour qu'il y ait instauration d'une véritable égalité dans les postes scientifiques de haut niveau.
N'oublions pas qu'on ne naît pas scientifique mais qu'on le devient, que l'esprit n'a pas de sexe et que la science n'est surtout pas une histoire de genres.
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Article de synthèse rédigé par Laëtitia Bartholome, documentaliste au Muséum de Toulouse. En support ressources bibliographiques : sa collègue Elodie Guiraud. Mis en ligne le 15 février 2016 suite au colloque Femmes et Sciences qui s'est déroulé au Muséum le 13 novembre 2015 (voir le programme).
Copyright Françoise Viala, CNRS Midi-Pyrénées.
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