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Les 80 ans du CNRS : institutionnaliser la recherche, la partager, la valoriser, la promouvoir

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Les 80 ans du CNRS : institutionnaliser la recherche, la partager, la valoriser, la promouvoir

Une histoire qui prend ses origines dès 1870

Il y a 80 ans naissait le CNRS, le Centre National de la Recherche Scientifique, aujourd’hui l’un des établissements les plus importants de recherche public français et européen. Si son inauguration a eu lieu le 19 octobre 1939, sa gestation a démarré bien plus tôt. C’est en effet en 1870, au lendemain de la défaite de la guerre franco-prussienne, qu’il apparait évident que la recherche n’est pas suffisamment structurée pour éviter à la Patrie la défaite de son armée. Emile Zola stigmatise l’opinion publique en écrivant : « Malheur à qui s’arrête dans l’effort continu des nations, la victoire est à ceux qui marchent à l’avant-garde, aux plus savants, aux plus sains, aux plus forts. » En 1925, Maurice Barrès s’émeut toujours de la « misère de nos laboratoires … indigne de la France ».

Sous l’impulsion de Jean Perrin, Prix Nobel de physique en 1926, la troisième République met en œuvre des moyens considérables pour améliorer le travail des chercheurs - le mot entre alors dans l’usage courant- qui doivent « percer les secrets les plus dissimulés de la Nature » et une véritable croisade en faveur d’une meilleure organisation de la recherche démarre. Avec le soutien de la Fondation Rothschild, l’institut de Biologie Physico-Chimique (IPBC) est créé, représentant tout à la fois un modèle d’inter-disciplinarité, de liberté et d’« institutionnalisation ». L’Etat s’implique et en 1930 le gouvernement Herriot met en place la Caisse Nationale des Sciences. Le gouvernement Daladier établit un Conseil Supérieur de la recherche qui pose les orientations de la politique scientifique. De la Caisse Nationale des Sciences nait en 1935 la Caisse Nationale de la Recherche Scientifique (CNRS), une institution destinée au financement de la recherche scientifique. Les efforts sont récompensés : les deux Joliot-Curie, Irène et son mari Frédéric, obtiennent le prix Nobel de Chimie en 1935. L’aura scientifique de la France est à son comble. La CNRS mute et le Centre National de la Recherche Scientifique (le CNRS) nait le 19 octobre 1939 par un décret du Président de la République Albert Lebrun.

 

Irène et frédéric Joliot-Curie dans leur laboratoire en 1935 (Crédit Wikipedia/ Agence de presse Meurisse)

Une femme aux manettes

Irène Joliot Curie obtient le sous-secrétariat d’Etat à la Recherche dans le gouvernement du Front Populaire en 1936. Elle devient ainsi, avec Suzanne Lacore et Cécile Brunschvicg, une des trois premières femmes à siéger dans le gouvernement français, à une époque où, rappelons-le, les femmes n’ont toujours pas le droit de vote… Elle travaille pendant trois mois avec Jean Zay, un jeune député élu en 1932, artisan de la première heure du ralliement des radicaux socialistes au Front Populaire, à qui Léon Blum confie le portefeuille de l’Education nationale. Il a à peine 32 ans. Avant de laisser sa place à Jean Perrin, Irène Joliot-Curie impulse des orientations capitales pour une politique publique de la recherche : augmentation des salaires des chercheurs, alignement du statut des normaliennes de Sèvres sur celui des normaliens de la rue d’Ulm et augmentation du budget de la recherche. Le Palais de la découverte, construit pour l’exposition Universelle de 1937, renforce les liens entre la recherche et le public et démocratise la science. En 1939, c’est le médecin Henri Laugier, collectionneur d’art et humaniste, qui est nommé président du tout jeune CNRS qui comporte alors 1000 employés, femmes et hommes, ingénieurs, techniciens et chercheurs répartis dans une quarantaine de laboratoires.

Irène Joliot Curie (Crédit Wikipedia/Nobel Foundation)

 

La débâcle et le retour à la normale

Avec l’entrée en guerre, la mission du CNRS est de mobiliser les scientifiques du pays. Avec la débâcle de 1940, Henri Laugier rejoint Londres. Le gouvernement de Vichy est une période sombre, les laboratoires sont vidés de leur personnel juif. Jean Perrin meurt en exil à New York en 1942. Jean Zay, le deuxième « père » du CNRS, est emprisonné par Pétain et sera assassiné par sa milice le 20 juin 44.

A la Libération, c’est Frédéric Joliot-Curie qui prend la tête de l’établissement qu’il gardera jusqu’en février 1946, puis Georges Teissier lui succèdera. Sous l’impulsion du général de Gaulle, le CEA est créé en 1945 et se consacre à l’énergie nucléaire, tandis que l’INRA, dédié à la recherche agronomique, voit le jour en 1946. Petit à petit le CNRS prend son essor avec la création de nouvelles formations en Ile de France et dans les départements, Grenoble, Marseille, Strasbourg, Toulouse...

 

Jean Zay (Crédit Wikipedia/ Domaine pubic)

 

De Gaulle : l’âge d’or de la recherche

La recherche est une priorité nationale du fondateur de la Cinquième République. De Gaulle nomme un ministère d’Etat à la recherche dès 1958 et lui donne les moyens financiers de croître, permettant la création de nouveaux laboratoires, bien équipés et nantis d’un personnel compétent et abondant : 6000 agents en 1958, 17000 en 1969 ! Le CNES, pour les recherches spatiales, et l’INSERM, pour la santé, voient le jour en 1961 et 1964. C’est aussi l’époque du rapprochement entre le CNRS, dont le directeur depuis 1962 est Pierre Jacquinot, et les universités avec la création des « laboratoires associés » qui permettent une collaboration fructueuse entre les acteurs de la recherche. Cette réforme de 1966 constitue un pilier, toujours d’actualité, du fonctionnement de la recherche où CNRS, universités et autres organismes de recherche s’associent pour une recherche interdisciplinaire et féconde. Plus tard d’autres disciplines émergent, comme l’informatique avec la fondation de l’RIA qui deviendra l’INRIA en 1967. Le CNRS continue son développement, renforçant ses liens avec l’industrie et se dotant de l’ANVAR en 1967, une structure de valorisation de la recherche, incitant au transfert vers la société des travaux réalisés dans les laboratoires.

 

Échantillons utilisés pour des tests d’oxydations cycliques sous environnement gazeux contrôlé. Ces tests visent à reproduire les sollicitations thermomécaniques et chimiques, subies par des pièces en alliages métalliques utilisées pour des applications en aéronautique et en production d'énergie. (Crédit © Frédéric MALIGNE / CIRIMAT / CNRS Photothèque)

 

Les années 70 : l’effort continue

Dans les années 1970, la France participe aux nouvelles préoccupations sur l’environnement et l’énergie. Elle est à la pointe de la recherche mondiale sur le solaire avec la création du Four solaire d’Odeillo (Font Romeu) qui a fêté ses 50 ans cet été.

 

Miroir parabolique du four solaire de 1 mégawatt du site PROMES d'Odeillo-Font Romeu, dans les Pyrénées-Orientales, vu de côté avec sa tour foyer en bas à droite. Aussi appelé MWSF (MegaWatt Solar Furnace), le four solaire d'Odeillo mis en service en 1970 est le plus puissant au monde (avec celui de Parkent en Ouzbékistan) et permet de produire de très hautes températures pour diverses expériences scientifiques. (Crédit © Cyril FRESILLON / PROMES / CNRS Photothèque )

 

C’est la même politique d’ouverture que défendra plus tard le cristallographe Hubert Curien (1924-2005), directeur général du CNRS de 1969 à 1973 ministre de la Recherche et de la Technologie de 1984 à 1986 puis de 1988 à 1993, pendant les présidences de François Mitterrand. La recherche s’ouvre de plus en plus à l’Europe. Hubert Curien est à l’origine de la Fondation européenne de la science. Le CNRS devient le premier « établissement public à caractère scientifique et technologique » (EPST) et son personnel devient titulaire de la fonction publique (1984). Les délégations du CNRS s’implantent dans les régions et participent tant aux grands programmes de recherches fondamentales (physique nucléaire et des particules, Terre et atmosphère) qu’à ceux plus appliqués (énergie, agroalimentaires, innovations thérapeutiques, robotique,…). En 1990, le CNRS compte plus de 26 000 salariés répartis en sept départements qui ont depuis 2010 laissé la place aux « instituts », couvrant la physique nucléaire et corpusculaire, les mathématiques et la physique de base, les sciences pour l’ingénieur, la chimie, les sciences de l’Univers, les sciences de la vie et les sciences humaines et sociales.

 

Depuis 2000

Ce sont plus de 1400 start-up créées par le CNRS et plus de 5600 familles de brevets. L’excellence scientifique, l’interdisciplinarité, le travail en équipe sont toujours les maîtres mots pour faire avancer les connaissances dans tous les domaines, innover et partager la culture scientifique. Actuellement le CNRS, avec ses 18 délégations régionales, est le principal organisme de recherche en France et en Europe avec près de 32000 personnes travaillant dans 11000 laboratoires, et un budget de 3 ,4 milliards d’euros.

 

Les laboratoires du CNRS en Occitanie

L’Occitanie Ouest représente le deuxième site de l’organisme en potentiel de recherche, principalement à Toulouse, mais aussi à Albi (Tarn) et Moulis (Ariège), avec une station d’écologie théorique et expérimentale, inaugurée en 1954 par Albert Vandel. Plusieurs grands champs disciplinaires se sont développés dans ses 62 laboratoires de recherche : après l’inauguration du premier laboratoire du CNRS à Toulouse en 1947, l’ancêtre de l’écologie : le service de la carte de la végétation, sous la direction du botaniste et géographe Henri Gaussen, ce sera le laboratoire d’optique-électronique, et sa célèbre boule, abritant un microscope de très grande puissance, fondé en 1958 par le physicien Gaston Dupouy, doyen de la faculté des sciences de Toulouse et directeur du CNRS entre 1950 et 1957.

 

La "boule" du Cemes construite en 1958 à l'initiative de Gaston Dupouy est inaugurée en 1959 par le Général de Gaulle. Elle abritait le 1er microscope électronique très haute tension de 1 MeV. Ce microscope était le plus puissant à l'époque. Son générateur occupe toujours la partie supérieure de la "boule". Aujourd’hui, le CEMES reste un laboratoire de référence en microscopie électronique. (Crédit © Cyril FRESILLON/CNRS Photothèque )

 

Puis ce sera le Centre d’Informatique de Toulouse, un peu avant la création de l’IRIA et précédant de peu l’édification du LAAS (Laboratoire d’automatique et de ses applications spatiales) en 1968 qui devient depuis les années 2000 le Laboratoire d’Analyse et d’Architecture de Systèmes. La chimie n’est pas en reste avec la création du Laboratoire de Chimie de Coordination (LCC), qui fête cette année ses 45 ans, et de l’Institut de chimie de Toulouse (ICT), fondé en 1994, qui regroupe tous les laboratoires de chimie du site plus quelques laboratoires de physique (CEMES, LPCNO). Des recherches pluridisciplinaires sont aussi menées au CIRIMAT (Centre Interuniversitaire de Recherche et d’Ingénierie des Matériaux), dont la création par le CNRS s’est effectuée à partir de laboratoires universitaires pré-existants sur le site toulousain ? C’est sur ce même principe qu’ont vu le jour le LAAS, le LCC ou encore de l’IRIT (Institut de Recherche en Informatique de Toulouse), créé en 1990 ou plus récemment (2007) de IMT (l’Institut de Mathématiques de Toulouse). Les sciences de l’univers ont aussi leur part belle avec l’Observatoire Midi-Pyrénées qui, au sein de 7 laboratoires, regroupe plus de 1200 personnes aujourd’hui pour porter des projets spatiaux internationaux en astrophysique, planétologie et observations de la Terre. La biologie, qui fait de plus en plus appel aux mathématiques, à l’informatique ou à la physique, se déroule au sein de nombreux laboratoires mixtes CNRS-université (CBD/CBI, CRCA/CBI, CERCO, IPBS,…) qui  se penchent sur le fonctionnement du vivant, du cerveau, ou la cognition animale…Enfin, le CNRS est présent dans les sciences humaines et sociales à travers huit laboratoires couvrant des disciplines aussi variées que l’histoire, la géographie, l’anthropologie, le management, l’archéologie et l’économie. Aujourd’hui, ce sont plus de 650 personnes qui y travaillent.  Ces thématiques sont structurées pour la plupart autour de la Maison des Sciences de l’Homme et de la Société (MSHT) qui a vu le jour à Toulouse il y a 20 ans. Photo MSHT

 

Institut de Recherche Informatique de Toulouse (IRIT) (Crédit Dominique Morello)

Maison des Sciences de l’Homme et de la Société (MSHT) (Crédit Benoit Colas)


Article rédigé par Dominique Morello, chercheuse en Biologie au CNRS, inspiré de la conférence donnée par Denis Guthleben au Muséum de Toulouse le 1er Octobre 2019.

Mis en ligne le 10 décembre 2019.


Bibliographie

S’il n’est pas possible dans ce court article de nommer tous les laboratoires qui « font » la science d’aujourd’hui, les lecteurs et lectrices peuvent approfondir leurs connaissances sur l’histoire du CNRS en lisant

  • Histoire du CNRS de 1939 à nos jours ; une ambition nationale pour la France . Denis Guthleben, Armand Colin Poche.
  • Sciences. Bâtir de nouveaux mondes, CNRS Editions.
  • Le petit illustré : 80 ans CNRS Occitanie Ouest : Regards croisés de chercheur-es, Collection Le petit Illustré, La Dépêche/CNRS

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