
Le Parc Indigène du Xingu
Paysage, Parc indigène du Xingu copyright Serge Guiraud / Jabiru Prod.
Localisé au nord-est du Mato Grosso, le Parc indigène du Xingu abrite 16 ethnies amérindiennes. C'est un polygone irrégulier de 2.825.470 hectares en comptant les territoires limitrophes de Wawi, Batovi et Pequizal.
Son peuplement, attesté dès le IXème siècle, se caractérise par le rassemblement au fil des siècles de groupes fuyant la colonisation dans ce cul-de-sac géographique des formateurs du fleuve Xingu. À son acmé, cette véritable civilisation amazonienne abritait des villages de plusieurs centaines de personnes, fortifiés, réunis par un dense réseau de routes.
Le premier ethnologue à décrire cette société fut l’Allemand Karl Von den Steinen, qui y effectua deux séjours en 1884 et en 1887. Il n’était néanmoins pas le premier Blanc à la découvrir. Les Indiens lui confièrent avoir été en contact avec les « Blancs » depuis le milieu du XVIIIe siècle. C’était l’époque des bandeirantes2 qui, durant leurs expéditions à l’intérieur du Brésil, capturaient et tuaient les Indiens.
À partir de 1915, l’exploration des sources du Xingu s’est intensifiée, notamment avec la participation des militaires de la Commission Rondon3. Ces relations allaient s’avérer tragiques pour les Amérindiens avec la diffusion d’épidémies et entraîner une baisse de la population. En 1923, on ne comptait plus que 1840 personnes et à la fin des années 1940, l’effectif dépassait à peine 700 personnes.
En 1946, le gouvernement monta l’expédition Roncadour – Xingu à laquelle participèrent les frères Villas Boâs. À cette époque, les Indiens étaient toujours victimes du choc bactériologique et leur population ne cessait de s’amenuiser de façon drastique. L’idée de la création d’un vaste territoire protégé commença à faire son chemin.
Les Villas Boâs usèrent d’appuis d'hommes politiques, de militaires et de personnalités internationales comme Léopold III, Roi des Belges, pour faire pression sur le gouvernement brésilien.
Le 14 avril 1961, un décret délimitait le premier territoire réservé aux populations amérindiennes.
Le complexe culturel xinguano
Le complexe xinguano est le produit de rencontres séculaires entre des peuples d’origines et de traditions diverses. Ces groupes ethniques ont progressivement implanté un ensemble socioculturel sensiblement homogène, sur la base d’un système codifié d’échanges intercommunautaires concernant non seulement les alliances matrimoniales mais également les principaux éléments de la vie quotidienne et rituelle.
Ceinture uluri, en fibres de palmier buriti, portée par les femmes de l'ensemble des groupes du Haut-Xingu, culture Yawalapiti, collecte 2012, inv : MHNT.ETH.2012.9.26. cc by-sa Frédérique Gaillard, Muséum de Toulouse.
L’ensemble plurilinguistique et pluriethnique se concentre essentiellement dans le Haut-Xingu et ne concerne donc pas toutes les ethnies du Parc.
Chaque ethnie a contribué au processus de « xinguanisation » en apportant soit un artefact, soit une cérémonie. L’ensemble des groupes du Haut-Xingu a fini par adopter un style de vie sensiblement identique tout en préservant soigneusement des différences, notamment linguistiques.
Le processus de « xinguanisation » est surtout marqué par le régime alimentaire. D’après l’anthropologue Aristoteles Barcelos Neto l’observation rigide de tabous alimentaires serait la condition fondamentale pour adhérer au complexe xinguano.
Collier homme Kuikuru constitué de fils de coton et de plaques taillées dans des coquilles de gastéropodes. Objet ramené lors de la mission 2012 cc by-sa Frédérique Gaillard, Muséum de Toulouse.
Ce régime est fondé sur l’interdiction de consommer de la viande d’animal à poil (excepté le singe capucin et éventuellement le paca (Cuniculus paca) – un rongeur). La préférence alimentaire est réservée aux poissons et à quelques espèces d’oiseaux.
Cette diète xinguanienne s’accompagne d’une série de procédures (coupe au bol, parures, réclusion pubertaire accompagnée de prise de remèdes) qui visent à produire des corps et des personnes capables de honte et de respect (réunis sous un même vocable), de contrôle de la colère et de maîtrise de la parole, autant de valeurs jugées distinctives de leurs voisins « féroces » et guerriers du Nord. Cette pax xinguana interne doit être relativisée par le fort principe de rivalité qui régit les rapports entre les groupes.
Cette homogénéité culturelle est toutefois nuancée par la résistance que chaque ethnie met dans la préservation d’une identité propre. En premier lieu, c'est la langue qui constitue une protection naturelle dans la circulation de l’information et dans le contrôle du pouvoir.

Les Trumai
Les Trumai vivent dispersés dans quatre villages, dans les postes de vigilance de la Funai situés dans le Parc du Xingu et dans les villes limitrophes (notamment Canarana).
Ils sont les derniers à s'être installés dans la région du Haut-Xingu, au cours du XIXe siècle. À cette époque, la population était plus importante qu'aujourd'hui. Les conflits et les guerres avec les autres peuples ainsi que les épidémies de rougeole et de dysenterie ont réduit l'effectif à 18 personnes en 1952. De nos jours, la population est estimée à plus de 100 personnes et certainement plus si l'on prend en compte les alliances matrimoniales avec les ethnies voisines.
Même s'ils sont associés au complexe xinguano, les Trumai n'y sont pas totalement intégrés et présentent des particularités qui les distinguent des autres groupes du Haut-Xingu. Leur langue est isolée dans le sens où elle ne possède aucune parenté génétique avec les autres langues de la région, ni d'autres langues du pays. Leur mode de vie diffère également notamment dans le régime alimentaire qui inclut la consommation de viande rouge alors qu’elle est proscrite dans les autres ethnies.
Néanmoins, leur arrivée dans le complexe xinguano a donné lieu à un échange d'influences en ce qui concerne les coutumes, les rituels et la culture matérielle.
Traditionnellement, les Trumai dormaient sur des nattes, utilisaient comme armes des massues et des propulseurs. Après le contact avec les Xinguanos, ils ont adopté le hamac, l'arc et les flèches.
Portrait Trumai copyright Serge Guiraud / Jabiru Prod.
Banc Trumai, collecte mission 2015. Photo cc by-sa Frédérique Gaillard, Muséum de Toulouse
En vidéo, la fabrication du banc. Un enregistrement pour un patrimoine immatériel. Montage vidéo Eric Varignon Copyright Jabiru Prod. Le film complet est en consultation sur les postes informatiques de la Bilbiothèque du Muséum de Toulouse. Accès libre.
Le cycle rituel
Concernant le cycle rituel xinguano, ce sont les Trumai qui ont introduit le rite du Hopep (Yawari), un rite dédié aux guerriers morts et pendant lequel deux groupes s'affrontent au lancer de javelot. La cérémonie est ponctuée de cris d’animaux stéréotypés et de longs chants qui font abondamment référence à des animaux, notamment des félins et des rapaces, signalant la prédation comme thème principal.
Le Hopep est également l’occasion pour les Xinguanos de se provoquer par des joutes verbales. Ces provocations, ces insultes ou ces railleries, qui révèlent les secrets les plus intimes de la cible, s’adressent uniquement à un « cousin » du groupe adverse, représenté par un mannequin de paille planté au centre de la place. Ce cousin pourra ensuite répondre à son agresseur. À ces duels d’insultes succède enfin une série de duels réels, à coups de javelots dont la pointe de cire ne peut blesser gravement. Le rituel du Hopep met en scène une guerre entre les groupes alors que son bannissement est au cœur du système pluriethnique.
Il semble ainsi valoriser pour un temps des comportements – comme l’outrage ou l’agressivité – normalement proscrits chez les Indiens du Haut-Xingu.
Photos Copyright Serge Guiraud / Jabiru Prod.
Les Trumai, un peuple sans culture ?
L’absence chez les Trumai d’une chefferie affirmée, de chamane en exercice et d’un « véritable village » répondant au canon spatial xinguanien de la grande place centrale a eu pour conséquence la disparition des cérémonies au centre de la place. Dans le même temps, il est devenu de plus en plus important pour les Indiens du Brésil de pouvoir exhiber des signes extérieurs de « culture », pensés comme un patrimoine figé. Ce manquement est vécu depuis plusieurs décennies comme un stigmate par les Trumai, qui sont peu à peu sortis du cycle des invitations rituelles.
Extrait du film "Les maitres du HOPEP" réalisé par les Trumai (2015). Un enregistrement pour un patrimoine immatériel. Montage vidéo Eric Varignon Copyright Jabiru Prod. Le film complet est en consultation sur les postes informatiques de la Bilbiothèque du Muséum de Toulouse. Accès libre.
La récupération du patrimoine culturel
Les ethnies du Haut-Xingu ont compris qu’ils devaient se « donner à voir », c’est-à-dire présenter l’image correspondant à ce que le monde extérieur imagine pour affirmer leur indianité. Elles mettent en scène de façon ostentatoire la richesse de leur patrimoine culturel face aux journalistes et télévisions nationaux et internationaux.
Pour leur part, les Trumai, qui ne participent plus au cycle cérémoniel, sont incapables d’afficher ces signes d’indianité. C’est précisément cette invisibilité qui conduit à les considérer comme un peuple « sans culture ».
Conscients de cette marginalité, les Trumai décidèrent en 2015, d’organiser un atelier d’apprentissage du rite du Hopep. Ce rite n’a plus été célébré depuis 25 ans. Durant plus d’un mois, les jeunes ont appris des Anciens les chants et les chorégraphies du rituel. Une partie du répertoire a pu être enseigné grâce à des enregistrements sonores effectués par les chercheurs Aurore Monod-Becquelin (à partir de 1966)4 , Raquel Guirardello (dans les années 1990-2000) et Emmanuel de Vienne ( depuis 2003)5.
Extrait du film "Les maitres du HOPEP" réalisé par les Trumai (2015). Un enregistrement pour un patrimoine immatériel. Montage vidéo Eric Varignon Copyright Jabiru Prod. Le film complet est en consultation sur les postes informatiques de la Bilbiothèque du Muséum de Toulouse. Accès libre.
Comment mettre la technologie au service des traditions ?
Depuis plusieurs années, le Muséum d’histoire naturelle de Toulouse et l’association Jabiru Prod fournissent du matériel vidéo et forment des équipes amérindiennes aux techniques de prises de vues. Cette méthode moderne de « fabrication de patrimoine » est venu renforcer une dynamique de revendication identitaire et de défense des droits indigènes. Toutefois, il a fallu adapter cette technologie aux sociétés amérindiennes qui avaient développé, jusqu’ici, d’autres manières de construire leur mémoire et de tisser le lien entre les générations.
Extrait du film "Les maitres du HOPEP" réalisé par les Trumai (2015). Un enregistrement pour un patrimoine immatériel. Montage vidéo Eric Varignon Copyright Jabiru Prod. Le film complet est en consultation sur les postes informatiques de la Bilbiothèque du Muséum de Toulouse. Accès libre.
La présence d’une caméra a posé de manière nette le paradoxe actuel des Trumai. Elle permet à la fois une nécessaire revendication d’indianité, en montrant leur capacité à faire un rituel, tout en faisant courir le risque de diffuser trop largement des savoirs jugés secrets et propres aux Trumai. Le film réalisé a pris en compte toutes ces remarques. Il montre un processus de réappropriation créative de la tradition dans un contexte de profondes mutations.
Copyright Serge Guiraud / Jabiru Prod
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Références
1- Chloé NAHUM-CLAUDEL , Nathalie PETESCH, Cédric YVINEC, 2016 à paraître. Pourquoi filmer sa culture ? Rituel et patrimonialisation en Amazonie brésilienne, Journal de la Société des Américanistes.
2- On appelle bandeirantes les hommes qui, à partir du dix-septième siècle, ont été les instruments de la conquête territoriale de l'intérieur du Brésil. À la recherche de gisements de minéraux à exploiter ou d'amérindiens à réduire en esclavage, ces expéditions pouvaient être d'ordre public ou privé.
3- Cândido Mariano da Silva Rondon (1865-1958) est un ingénieur militaire connu pour son exploration du Brésil, notamment des régions du Mato Grosso et de l'Amazonie occidentale. Nommé en 1907 à la tête de la Commission des Lignes Télégraphiques chargée d'étendre le réseau à l'intérieur des terres, il crée une section cinématographie et photographie pour documenter les expéditions. Il en profite pour y inclure des équipes de naturalistes et développer l'exploration scientifique. A partir de cette initiative du Maréchal Rondon, la science devient un élément stratégique fondamental de l'expansion de l'Etat national brésilien, au même titre que le télégraphe.
4- A. Monod Becquelin, La pratique linguistique des indiens Trumai. Tome II, Paris, SELAF, 1975.
A. Monod Becquelin et C. Merleau Ponty, Contes Trumai, Actes Sud Junior, 2006.
5- E.de Vienne, Pourquoi chanter les ragots du passé ? Itinéraire historique d’un chant rituel trumai (Mato Grosso, Brésil), Journal de la Société des Américanistes, 2011, 97-1, p.291-319.
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Article rédigé par Serge Guiraud (Jabiru Prod) et Sylviane Bonvin (responsable des collections d'ethnologie au Muséum de Toulouse). - Mis en ligne le 21 avril 2016.
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