
Les supercondensateurs (SC) : des condensateurs mais en mieux
Les SC tirent leur nom des condensateurs classiques qui sont des composants électroniques constitués de deux armatures conductrices (les électrodes) séparées par un isolant électrique.
Figure 1 : Schéma d’un condensateur classique. Crédit Céline Merlet
Lorsque qu’une tension est appliquée aux bornes du condensateur, des charges s’accumulent de part et d’autre de l’isolant électrique, stockant ainsi de l’énergie qui pourra être utilisée par la suite. La quantité d’énergie stockée dépend de deux grandeurs : la tension appliquée aux bornes du condensateur (V) et la capacité du système (C) :
Énergie stockée = 1/2 CV2
La capacité correspond à la charge développée au niveau des armatures électriques pour une tension donnée. Plus la capacité est importante, plus la quantité d’énergie stockée va être importante. De façon générale, pour un condensateur classique, la capacité est donnée par la relation :
C = ε x S / d
où ε est une constante caractéristique de l’isolant électrique (la permittivité), S est la surface des armatures et d est la distance entre ces armatures.
Dans un SC, les électrodes sont constituées de matériaux poreux et le matériau isolant est remplacé par une solution ionique (l’électrolyte). L’utilisation d’électrodes poreuses permet d’augmenter grandement la surface S tandis que l’emploi d’une solution ionique permet de diminuer la distance d qui correspond maintenant à la distance entre les ions et la surface des électrodes. Grâce à ces deux modifications, la capacité du système et donc la quantité d’énergie stockée est augmentée de plusieurs ordres de grandeur par rapport aux condensateurs classiques d’où le terme de « super »condensateurs. Toutefois, la quantité d’énergie que l’on peut stocker reste très inférieure à celle des batteries.
Les applications des supercondensateurs
Les SC sont utilisés dans bon nombre d’applications où ils complètent les batteries ou permettent de réduire l’utilisation d’énergies fossiles. En raison de la quantité limitée d’énergie qu’ils permettent de stocker, en particulier en comparaison avec les batteries, mais du grand nombre de cycles de charge-décharge qu’ils peuvent supporter, ils sont utilisés dans des applications de puissance ou dans des applications où la stabilité en cyclage est importante. C’est le cas par exemple, des systèmes de récupération d’énergie de freinage (où le moteur électrique devient générateur). Les bus hybrides à SC peuvent utiliser à la fois des carburants classiques et de l’énergie électrique. Les SC, placés sur le toit du bus stockent l’énergie récupérée au moment du freinage et la restituent au moment du démarrage et de l’accélération. Ces bus, de plus en plus utilisés par les réseaux de transports en commun, permettent de faire des économies de carburant d’environ 30%. Une réduction similaire de la consommation en énergies fossiles est observée pour les grues portuaires à motorisation hybride où les SC sont alimentés pendant la descente des charges et sollicités pendant la montée. Récemment, des bus électriques alimentés uniquement par des SC ont vu le jour. À Ningbo, dans l’est de la Chine, un bus électrique à SC parcourt un trajet de 11 km avec 24 arrêts. Les SC sont rechargés à chaque arrêt, par une alimentation extérieure, pendant que les voyageurs montent et descendent du bus. Ceci est possible car les SC sont rechargés en 10 s.
Figure 2 : Gauche : Bus hybride à supercondensateurs. Droite : Bus électrique à supercondensateurs. Crédit supercondensateur.com
Électrodes, électrolytes et performances des supercondensateurs
Le succès des SC pour les applications décrites ci-dessus provient de leur mécanisme de fonctionnement et des matériaux qui les constituent. Comme expliqué précédemment, les SC sont constitués de plusieurs éléments : deux électrodes au sein desquelles se fait le stockage d’énergie, un électrolyte (ou solution ionique) qui contient des espèces chargées (des ions) mobiles et des collecteurs de courant qui assurent le contact électronique entre les électrodes et le circuit électrique extérieur. Lorsque le système est déchargé, les électrodes sont neutres et il y a autant d’anions (ions négatifs) que de cations (ions positifs) dans les électrodes. Lorsqu’on applique une différence de potentiel entre les électrodes, on charge le supercondensateur. Les électrodes acquièrent une charge, l’une devient positive et l’autre négative. Du côté de l’électrolyte, les anions et les cations s’adsorbent préférentiellement à l’électrode qui porte une charge opposée à la leur en raison des interactions électrostatiques existant entre l’électrode et les ions. C’est cette adsorption des ions à la surface des électrodes qui est responsable du stockage d’énergie. On comprend alors que le choix des matériaux utilisés pour les électrodes et l’électrolyte va avoir une grande importance pour obtenir des systèmes avec de bonnes performances.
Figure 3 : Schéma d’un supercondensateur déchargé. Crédit Céline Merlet
Figure 4 : Schéma d’un supercondensateur chargé. La matière active utilisée pour les électrodes est bien souvent du charbon actif
obtenu par une synthèse à haute température à partir d’écorce de noix de coco. Crédits Noix de coco freedesignfile / Charbon actif Innofresh / Schéma Céline Merlet
Le choix de l’électrolyte va principalement jouer sur la tension que l’on va appliquer aux bornes du SC. Dans un SC, il n’y a pas de réaction électrochimique entre les molécules de l’électrolyte et l’électrode. C’est un point crucial puisque c’est ce qui permet à ces systèmes d’avoir une durée de vie beaucoup plus longue que les batteries. Plus l’électrolyte utilisé est stable, plus on va pouvoir appliquer une tension élevée et ainsi augmenter la quantité d’énergie stockée puisque celle-ci varie comme le carré de la tension. Ceci explique que bien que les solutions aqueuses aient moins d’impact sur l’environnement, les électrolytes dits organiques, c.a.d. contenant un solvant autre que l’eau, sont pour l’instant les plus utilisés. En effet, la tension maximale utilisable pour les solutions aqueuses est de 1,2 V alors que l’on peut monter jusqu’à 2,5 - 3 V pour les électrolytes organiques ce qui permet de multiplier par 4 à 6 fois l’énergie stockée.
Au niveau des électrodes, la matière active utilisée commercialement est du charbon actif obtenu par synthèse à haute température à partir d’écorce de noix de coco. Cette matière première est peu chère et permet d’obtenir de bonnes performances. En particulier la grande surface effective développée dans ce matériau (~ 1000-3000 m2.g-1) favorise l’adsorption ionique et l’obtention d’une grande capacité.
La recherche de nouveaux matériaux poreux permettant d’augmenter la capacité du système et donc la quantité d’énergie stockée est extrêmement active et suit deux grandes directions. Certains chercheurs testent d’autres précurseurs de charbons actifs tels que des noyaux d’olive, des noyaux de cerise, des algues, du bambou et même des grains de café. D’autres travaillent sur la synthèse de matériaux dont la structure est mieux contrôlée avec par exemple des tailles de pores bien définies.
De meilleures performances avec des matériaux nanoporeux
En 2006, la recherche sur les SC a connu une avancée majeure quand il a été montré que les ions de l’électrolyte pouvaient entrer dans des pores de toute petite taille (pores d’une taille proche de la taille des ions) et que cela conduisait à une augmentation de 100% de la capacité volumique. Ceci était surprenant car on pensait à l’époque que les ions étaient forcément entourés de molécules de solvant et ne pourraient donc pas pénétrer « seuls » dans des pores si petits. Cette découverte a généré de nombreux travaux pour comprendre cette augmentation de capacité et pour améliorer encore les performances de ces systèmes. L’un des défis associés à ces recherches est la nécessité de comprendre les phénomènes survenant au cœur de la matière active. Les pores comme les ions sont trop petits pour pouvoir être observés de manière directe. Les carbones les plus performants ont des tailles de pores proches de 1 nanomètre, c’est-à-dire un milliardième de millimètre. Expérimentalement, certaines méthodes telles que l’imagerie par résonance magnétique (IRM) peuvent être utilisées mais les résultats obtenus sont souvent difficiles à interpréter sans l’aide d’études théoriques.
Les apports de la simulation
L’une des méthodes théoriques les plus utilisées pour étudier les SC est la dynamique moléculaire classique. Avec cette méthode, on réalise une simulation numérique sur ordinateur au cours de laquelle on a accès à la trajectoire des ions, des molécules de solvant et des atomes de carbones au cours du temps. Il y a souvent plusieurs milliers de particules à représenter et les calculs peuvent être longs. À l’issue de la simulation, on analyse les trajectoires pour comprendre les résultats expérimentaux et orienter les expérimentateurs vers des matériaux plus performants.
Figure 5 : Configuration extraite de la simulation d’un supercondensateur modèle par dynamique moléculaire.
Les électrodes de carbone sont en bleu, les anions en vert et les cations en violet. Crédit Céline Merlet
Les simulations moléculaires ont permis de comprendre l’augmentation de capacité observée expérimentalement. Celle-ci peut s’expliquer assez facilement en reprenant l’équation donnant la capacité en fonction de la surface des électrodes, S, et de la distance entre les ions et l’électrode, d.
C = ε x S / d
À proximité d’électrodes planes ou dans des pores de grande taille, les ions s’organisent en couches ioniques successives et l’ensemble de ces couches a une certaine épaisseur. La distance caractéristique d qui intervient dans le calcul de la capacité est alors la distance moyenne entre les ions de toutes les couches et l’électrode. Plus l’épaisseur des couches est grande, plus la distance d augmente et plus la capacité diminue. L’épaisseur observée est en général de 2-3 nm. Au sein des électrodes poreuses avec des pores d’environ 1 nm, il n’y a pas la place de former ces couches successives et il y a en général une seule couche d’ions située à une distance d, environ égale à 0.5 nm, de la surface des électrodes conduisant à une forte augmentation de la capacité. Les travaux actuels, expérimentaux et théoriques, visent à trouver la meilleure combinaison électrode – électrolyte possible pour pouvoir stocker un maximum d’énergie.
Références
- www.supercondensateur.com
- Anomalous increase in carbon capacitance at pore sizes less than 1 nanometer, J. Chmiola, G. Yushin, Y. Gogotsi, C. Portet, P. Simon, P.-L. Taberna, Science, 313, 1760 (2006)
- Relationship between the nanoporous texture of activated carbons and their capacitance properties in different electrolytes, E. Raymundo-Piñero, K. Kierzek, J. Machnikowski, F. Béguin, Carbon, 44, 2498 (2006)
- Modélisation de l’adsorption des ions dans les carbones nanoporeux, C. Merlet, Thèse de doctorat (2013)
-
Sustainable materials for electrochemical capacitors, K. Fic, A. Platek, J. Piwek, E. Frackowiak, Materials Today, 21, 437 (2018)
Article rédigé par Céline Merlet, chercheure au CNRS, au laboratoire CIRIMAT de l'Université Paul Sabatier.
Mis en ligne le 20 septembre 2019