Les cellules souches de l'embryon (in vivo)
La cellule souche initiale, la toute première, est la cellule œuf, qui résulte de la fécondation de l'ovocyte par un spermatozoïde. Dans les jours qui suivent la fécondation, cette cellule unique
se divise rapidement : 2, 4, 8, 16, puis approximativement
32 cellules dans l'embryon de souris âgé de 3 jours. A ce stade,
appelé morule car l'embryon ressemble à une petite mûre, toutes
les cellules sont identiques et totipotentes : chacune peut donner toutes les cellules de l'organisme.
Stades précoces du développement embryonnaire chez la souris. Au stade initial (stade 1), deux noyaux sont visibles, l'un provenant de l'ovocyte et l'autre du spermatozoïde. Ils vont bientôt fusionner et formerr un seul noyau à 2n chromosomes.
A l'étape suivante, l'embryon s'implante dans l'utérus. A ce stade (
blastocyste), ses cellules ne sont plus identiques.
On en distingue deux types : les
cellules de la couche externe (le trophectoderme) qui contribuent aux annexes embryonnaires (placenta, sac vitellin…) et
les cellules de la masse cellulaire interne (MCI) qui sont pluripotentes : au fur et à mesure de leurs divisions, elles participent à la formation de tous les tissus d'un organisme (cellules du cerveau, du foie, du cœur, du sang, cellules sexuelles…).
Le blastocyste est le stade où l'embryon s'implante dans l'utérus, environ 4,5 jours après la fécondation. L'astérisque indique les cellules de la masse cellulaire interne à partir desquelles on établit, en culture, des lignées de cellules souches embryonnaires ES (pour Embryonic Stem cells).
Les cellules souches embryonnaires en culture (in vitro)
Les embryologistes savent très bien cultiver les embryons des stades pré-implantatoires et les manipuler. Ils peuvent en particulier
dissocier les cellules de la MCI du blastocyste et les mettre en culture pour établir des
lignées de cellules souches embryonnaires pluripotentes, les cellules ES. L'avantage est qu'une fois en culture, ces cellules se multiplient à l'infini tout en gardant leur caractère multipotent. On peut aussi les oriente
r en utilisant le milieu de culture approprié, les différencier, dans l'un des 200 types cellulaires spécialisés (cellules sanguines, nerveuses, musculaires,…) qui constituent notre organisme (ou celui de la souris). Il est égalemen
t possible de manipuler le génome des cellules ES et d'y introduire la ou les modification(s) désirée(s) (mutation, délétion, ajout de séquences…). Ce sont ces premières expériences de manipulation du génome des cellules ES par recombinaison homologue qui valurent en 2007 le Prix Nobel de physiologie et médecine à Mario Capecchi qu'il partagea avec Martin Evans et Oliver Smithies pour leurs travaux
sur les cellules souches embryonnaires.
La même technique fut appliquée quelques mois plus tard aux embryons humains afin d'établir des lignées ES humaines (hES). En France, la première lignée hES fut obtenue en 2007, une fois votée la loi bioéthique autorisant les recherches sur les cellules souches embryonnaires humaines.
Première lignée de cellules hES dérivée en France. Ces cellules expriment deux marqueurs caractéristiques des cellules souches (OCT4 à gauche et TRA1−60, à droite. © Unité INSERM 602).
Ce sont les embryons surnuméraires (ou non viables car porteurs de mutations génétiques) qui sont utilisés pour dériver des lignées hES. Plus de 200 lignées de cellules hES, chacune avec son propre génome, sont disponibles pour la communauté internationale de chercheurs. On peut, comme chez la souris, les différencier en culture dans différents types cellulaires. L'intérêt de ces lignées ES (murines ou humaines) est qu'elles permettent de mieux comprendre les mécanismes fondamentaux du développement et de la différenciation cellulaire et qu'elles constituent des modèles d'étude de maladies génétiques humaines sur lesquelles on peut tester une batterie de composés à usage thérapeutique.
Thérapie cellulaire avec les cellules hES
Ce sont de telles cellules hES pré-orientées en culture en cellules cardiaques que l'équipe du Prof P. Menasché a récemment introduites dans le cœur d'une patiente atteinte d'insuffisance cardiaque.
Les cellules souches pluripotentes induites
Il existe une autre catégorie de cellules souches pluripotentes, qui ne sont pas, à l'origine et loin s'en faut, des cellules embryonnaires, mais en revêtent les caractéristiques. Ce sont les
iPS (pour Induced Pluripotent Stem cells). Elles ont vu le jour en 2006 quand le japonais
Shinya Yamanaka découvre que
les cellules adultes différenciées de souris, des cellules de la peau, peuvent être « reprogrammées » en culture pour devenir des cellules souches.
C'est une véritable révolution car les chercheurs pensaient qu'une fois différenciée, aucun retour en arrière n'était possible pour une cellule. Les iPS sont maintenues en culture dans leur état pluripotent ; tout comme les ES, on peut les différencier en différents types cellulaires, en les plaçant dans le milieu ou l'environnement approprié. La technique de reprogrammation a été appliquée aux cellules humaines en 2007.
Cette découverte et les potentiels thérapeutiques immenses qu'elle porte valurent à Yamanaka le prix Nobel de physiologie ou médecine en 2012 qu'il partagea avec John Gurdon, un spécialiste du développement de l'amphibien.
Les cellules iPS dérivées de tissus malades constituent une source inestimable de cellules sur lesquelles on peut tester une batterie de molécules ou de protocoles à visée thérapeutique.
Issues de tissus sains, elles peuvent être réimplantées, une fois orientées dans la voie de différenciation désirée, dans un tissu malade et le réparer. C'est la stratégie qu'a utilisée très récemment l'équipe japonaise de
M. Takahashi en différenciant en culture des
iPS en cellules rétiniennes, pou
r soigner une patiente atteinte de dégénérescence maculaire (DMLA).
L'avantage de ces cellules iPS par rapport aux cellules hES est qu'elles soulèvent
moins de problèmes éthiques. De plus, on peut établir des iPS à partir d'un individu dont on veut réparer un tissu ou un organe abîmé, ce qui permet en théorie d'
éviter le rejet de la greffe cellulaire. L
'inconvénient est que les
gènes qui codent les facteurs de « reprogrammation » peuvent s'intégrer dans le génome des cellules iPS et y causer des dommages. De nombreuses équipes travaillent à surmonter cet obstacle, en particulier en n'introduisant pas dans les cellules les gènes mais les produits qui en découlent (ARN/protéines). De même,
des scientifiques s'attèlent à mieux comprendre quels facteurs sont indispensables, au delà du cocktail initial, pour orienter en culture une cellule souche dans une voie de différenciation donnée. Par exemple, pour combattre le diabète de type 1, les chercheurs voudraient obtenir en culture des cellules beta du pancréas qui produisent l'insuline, cellules qui sont attaquées par le système immunitaire du malade.
Les cellules souches adultes
Il existe enfin
une troisième catégorie de cellules souches, les cellules souches adultes. On les
trouve dans de nombreux tissus de l'adulte (moelle osseuse, tissu adipeux, peau, cerveau…) où elles servent au renouvèlement du tissu dans lequel elles se trouvent.

Par exemple, une cellule souche hématopoïétique de la moelle osseuse peut donner l'ensemble des cellules sanguines : globules rouges, globules blancs, plaquettes…
Cependant,
leur potentiel de différenciation est plus restreint que celui des cellules ES ou iPS, ce qui leur vaut d'être appelées cellules souches multipotentes. Leur abondance et leur facilité de prélèvement sont très variables selon les organes. Les cellules souches du tissu adipeux représentent des cellules de choix pour la médecine régénérative et font l'objet d'intenses recherches : elles sont abondantes (environ 250 000 cellules/g de tissu adipeux) et faciles d'accès (par liposuccion sur le patient). Outre leur capacité à faire du tissu adipeux (adipogenèse), elles peuvent s'engager dans d'autres voies de différenciation et former ainsi de l'os (ostéogenèse), du cartilage (chondrogenèse), des cellules de la paroi des vaisseaux sanguins ou des neurones. De nombreux essais cliniques sont en cours pour démontrer leur potentiel dans ces différentes situations.
Exemple d'utilisation de cellules souches adultes pour reconstruire l'os (© STROMALab, Unité INSERM 1031).
Tableau récapitulatif des avantages et inconvénients des différents types de cellules souches
Type de cellules souches |
Avantages |
Inconvénients |
Embryonnaires totipotentes |
Réellement totipotentes |
Nombre très faible |
Embryonnaires pluripotentes (lignées ES) |
En culture, quantités illimitées ; Se différencient en de très nombreux tissus ; Constituent d'excellents modèles de maladies sur lesquels on peut tester une batterie de molécules à visée thérapeutique. |
En cas d'utilisation en thérapie cellulaire, problème de compatibilité tissulaire ; Problèmes éthiques liés à l'utilisation des embryons humains. |
Induites pluripotentes (iPS) |
Quantités illimitées ; Constituent d'excellents modèles de maladies sur lesquels on peut tester une batterie de molécules à visée thérapeutique ; Compatibilité tissulaire puisque les cellules iPS sont dérivées du patient dans lequel elles sont réintroduites. |
Dommage possible lié à l'intégration des gènes codant pour les facteurs de reprogrammation ; Connaissance imparfaite des facteurs permettant d'orienter les cellules dans une voie de différenciation désirée. |
Adultes multipotentes |
Certains tissus (tissu adipeux) en contiennent beaucoup ; Compatibilité tissulaire puisque prélevées chez le patient dans lequel elles sont réintroduites. |
Potentiel de différenciation restreint. Ce sont plus des « progéniteurs » que de véritables cellules souches. |
Pour finir, n'oublions pas que quel que soit le type de cellules souches utilisées,
la route est longue entre la paillasse du chercheur et les applications cliniques. En voici quelques étapes : les travaux pré-cliniques qui évaluent le comportement des cellules transplantées dans les systèmes modèles les plus appropriés, les considérations éthiques, l'évaluation des risques, puis les essais cliniques à proprement parler, qui se déroulent en 4 phases : les phases I et II ont pour but d'évaluer l'efficacité du traitement et sa dangerosité d'abord sur un nombre restreint puis plus important de personnes, la phase III qui doit confirmer l'efficacité du traitement par rapport aux traitements standards sur un nombre important de patients et enfin l'approbation finale puis la distribution à grande échelle.
En moyenne, il faut plus de 5 ans pour franchir ces étapes. Un temps souvent incompressible.
Souhaitons que l'engouement pour les cellules souches et les promesses de thérapie qu'elles portent permettent,
à l'horizon 2020-2025, à un grand nombre de patients d'en bénéficier.