
Vue au microscope électronique d'un Megavirus CC by-sa Chantal Abergel
Pendant que les plaisanciers s'adonnent aux joies du cabotage, d'autres marins sillonnent les océans dans un objectif beaucoup plus studieux. Depuis une dizaine d'années, des expéditions successives (Tara-expedition, GOS, …) auscultent les mers et océans de notre planète. Leur but ? Faire l'inventaire de l'ensemble des espèces microbiennes marines c'est à dire tous les organismes non visibles à l'œil nu. Dans les pas du commandant Cousteau qui a éveillé le grand public à l'écologie marine, ces scientifiques, moins célèbres mais non moins méritants, ont rapporté de leurs campagnes des nouvelles incroyables : les virus abondent dans les milieux aquatiques et se répandent de leur surface jusqu'aux profondeurs abyssales. De plus, dans la plupart des échantillons collectés, on recense la présence de virus géants incroyablement «évolués»….
La re-découverte des virus géants
En effet, les premiers virus géants ont été observés au cours des années 1970 et 1980 et ont permis en 2001 de définir une nouvelle super-famille de virus portant le nom barbare de «grand virus nucléo-cytoplasmiques à ADN» (Nucleo-Cytoplasmic Large DNA Virus) plus simplement désignée par l'acronyme « NCLDV ». Ces virus se distinguaient des autres catégories par une taille supérieure à la moyenne et surtout un matériel génétique ou génome sensiblement plus long.
copyright J.V. Etten. "Pour la science" n°415, may 2012
Mais, rapidement, cette famille s'est enrichie de nouveaux membres dont les propriétés se distinguent tellement de celles des précédents que les virologues ont du créer pour eux une famille spéciale au sein même des NCLDV: les Megaviridae. Ces principaux représentants ont reçu de charmants petits noms : Mimivirus, Mamavirus, Moumouvirus et Megavirus. D'autres représentants plus éloignés sont les marseillevirus et lausannevirus. Pour simplifier les choses, on parle aujourd'hui de Megaviridea même si ce terme n'a pas encore reçu l'aval de l'ICTV (organisme officiel de dénomination des virus). Ce terme sera utilisé par là suite pour désigner plus facilement tout ce «petit» monde de géants.
Des géants omniprésents mais restés longtemps inaperçus
Paradoxalement, c'est leur taille proche de celle des bactéries qui a soustrait si longtemps les Megaviridea à la vigilance des chercheurs : contrairement aux virus classiques que l'on isole par ultrafiltration sur des membranes de très faible porosité (0,2µm), les Megaviridea sont retenus avec les bactéries sur ces filtres.
Ces virus exposent à leur surface des sucres complexes dont la composition rappelle également celle des parois bactériennes. Ces deux caractères ont été sélectionnés au cours de l'évolution de sorte que les Megaviridea sont reconnus et ingérés par les eucaryotes unicellulaires, tels que les amibes, qui se nourrissent de bactéries.
Véritable cheval de Troie, le virus se fait gober afin de pénétrer dans son hôte. Grâce à cette stratégie, de nombreux types de Megaviridea infectent les micro-organismes présents dans l'eau de mer mais aussi dans l'eau douce des lacs et des fleuves. On en trouve donc obligatoirement parmi les 10 millions de particules virales présentes dans une gorgée d'eau de mer…A méditer avant d'aller se baigner !
La plupart de ces Megaviridea a pour hôte identifié une amibe mais le dernier né de ces virus, PgV-T16, identifié cet été, a pour hôte exclusif l'algue unicellulaire Phaeocystis globosa. Ce micro-organisme dominant du phytoplancton de l'Atlantique nord est réputé pour ses efflorescences spectaculaires qui se déposent en films gélatineux sur le littoral. Or, la résorbtion de ces marées nauséabondes dépend d'une mort massive des micro-algues après infection par PgV-T16. Par sa capacité à réguler les populations phytoplanctoniques, grandes consommatrices de CO2 et productrices d'oxygène, PgV-T16 joue donc un rôle essentiel dans le contrôle de la composition atmopshérique et donc du climat.
Des génomes de champions
Ce qui fascine les biologistes chez les Megaviridea c'est moins leur taille que la complexité de leur génome qui leur confère des compétences proches de celles des cellules eucaryotes. Pour s'en rendre compte, rappelons que le génome de virus plus connus comme HIV (Sida), HPV (virus du Papillome) ou EBV (virus de l'Herpès) se résume à quelques milliers de paires de bases codant pour une dizaine de protéines… C'est à dire beaucoup trop peu pour assurer eux-mêmes leur propagation. Ces «petits» virus sont donc des parasites obligatoires qui infectent les cellules, s'installent dans leur noyau, sans le détruire, afin d'en prendre le contrôle. Ils détournent ainsi à leur profit les machineries nécessaires à la duplication de leur ADN (replication) et à la copie de leurs gènes en ARN (transcription), c'est-à-dire des molécules qui permettent la synthèse des protéines (traduction), toujours grâce à l'équipement de l'hôte. Par la même occasion, ils puisent dans les réserves de la cellule l'énergie nécessaire à toutes ces synthèses, énergie que les virus sont incapables de produire eux-mêmes.
En comparaison, le génome géant des Megaviridea possède une capacité codante fascinante ! Le record dans ce domaine est tenu par Megavirus chilensis «pêché» en 2010 au large des côtes chiliennes et dont le génome contient 1,26 millions de paires de bases codant pour 1120 protéines, soit davantage que certaines bactéries. Dans ce génome se trouvent des gènes permettant au virus de produire ses propres machineries de replication et de transcription. De fait, ils n'ont plus besoin de pervertir le noyau de l'hôte et campent dans le cytoplasme de la cellule infectée où ils développent une grosse structure dévouée à la production de nouvelles particules virales et que l'on nomme «Usine à virions».
Une autre performance originale des Megaviridea est leur capacité à produire des molécules capables d'entretenir et de réparer leur ADN, les protéger des effets délétères de l'oxygène, réagir au stress thermique etc... Ils sont donc doués d'un métabolisme qui, bien que rudimentaire, reste une grande première dans le monde viral. Fait également unique et rançon de leur sophistication, les Megaviridea sont eux-mêmes habités de parasites d'un nouveau genre. Le premier d'entre eux a été identifié chez Mimivirus. Baptisé « spountnik », il constitue l'élément premium de ce qu'on nomme maintenant les virophages c'est à dire….des virus de virus !
Le destin des champions est d'être supplantés
A l'heure même de la rédaction de cet article, la tribu des virus géants s'agrandit d'une nouvelle famille qui est aussi différente de celles des Megaviridea qu'elle ne l'est de tous les autres virus. Cette nouvelle famille a été baptisée : Pandoravirus. On n'en connaît à ce jour que deux membres, dont le représentant majeur Pandoravirus salinus relègue à lui seul les Megaviridea sur la seconde marche du podium. La taille de son génome atteint 2,5 millions de paires de bases pour une capacité codante de 2556 protéines...c'est à dire plus que certaines cellules eucaryotes. Il possède également un virophage, marque typique des virus géants. Pourtant, leur classification à part des Megaviridea se justifie par les points suivants. Tout d'abord, ils sont morphologiquement très différents. Outre leur taille supérieure (1micromètre) ils ne présentent pas la forme polyédrique typique de la plupart des virus mais apparaissent comme de grosses particules ovoïdes. D'autre part, bien que le nombre élevé de protéines qu'ils codent laisse présager des fonctions très elaborées, les Pandoravirus sont curieusement plus dépendants de leurs hôtes que les Megaviridea. Ils ne sont pas capables de former des usines à virions et leur cycle infectieux évoque davantage celui des autres NCLDV.
Claverie JM, Abergel C. Laboratoire IGS Université Aix-Marseille.
Les Pandoravirus gardent donc toutes les caractéristiques virales: incapacité à assurer seuls leur propagation, absence de vrai métabolisme et absence de division par scissiparité.
Alors qu'est ce qui rend donc ces Pandoravirus si intéressants ? Tout simplement le fait que 93% de leurs gènes ne ressemblent à rien de connu ! Ils n'ont aucun homologue ni chez les autres virus ni chez les procaryotes ou les eucaryotes !
Nos dogmes sur l'origine de la vie sur Terre doivent être revisités
Ces nouvelles familles de virus géants Megaviridea et Pandoravirus aux génomes alternativement très proches ou très éloignés de ceux de « vraies » cellules font que l'on s'interroge de nouveau sur l'origine de la vie sur Terre. Ces virus sont-ils les arbres qui cachent la forêt ? Et si la vie n'avait pas une seule origine mais plusieurs ? C'est le modèle vers lequel on s'oriente inexorablement. Il n'y a pas eu un organisme cellulaire ancestral unique mais probablement plusieurs en des lieux et sans doute en des temps différents. Les virus seraient issus d'un de ces prototypes, différents de celui ou ceux dont sont issues les archées, les bactéries ou les eucaryotes. Une simple alternative choisie par Dame Nature pour peupler notre planète….A ce titre, les virus devraient donc être assimilés à un 4ème domaine du vivant ! Mais, cette théorie a de nombreux détracteurs et le caractère vivant ou non (vivant) des virus fait toujours l'objet d'intenses débats dans la communauté scientifique.
Les virus géants sont-ils dangereux pour l'Homme ?
L'existence des virus géants n'est encore connue que des spécialistes et n'a guère retenu l'attention du grand public. Après tout, ils semblent inoffensifs puisqu'ils ne s'intéressent qu'aux amibes et aux algues unicellulaires... De plus, tous les virologues s'accordent pour dire que chaque virus a ses préférences pour un hôte particulier et n'infecte pas les autres espèces (c'est ce qu'on appelle le tropisme). Oui, mais c'est sans compter avec la grande plasticité des virus qui peuvent, à l'occasion de leur rencontre dans une même cellule hôte, se recombiner, échanger des gènes et en particulier ceux qui déterminent leur tropisme. Cela explique pourquoi des formes de Mimivirus ont été retrouvées dans des échantillons de sérum, de sueur et flore intestinale d'origine humaine. Très tôt, on a suspecté Mimivirus d'être pathogène sans réussir à le démontrer. C'est aujourd'hui chose faite : l'équipe de Didier Raoult à Marseille vient d'identifier Mimivirus comme l'agent responsable d'une pneunomie chez une patiente de 72 ans.
On sait pourtant depuis plusieurs décennies que les situations de co-infection sont une aubaine pour tout ce qui relève du bricolage génétique et de ce qu'on appelle le transfert latéral de gènes. Il s'agit d'une transmission directe de gènes entre 2 génomes étrangers au sein d'une même cellule ou d'un même individu. Il se distingue du transfert horizontal qui correspond à une transmission intergénérationnelle. Le transfert latéral de gènes est un événement critique qui peut affecter directement la vie de la cellule ou de l'organisme mais qui, sur une grande échelle de temps, se révèle souvent un outil fabuleux permettant le remodelage constant des génomes et leur évolution à long terme. Sans les virus et leur capacité à entretenir notre plasticité génomique, nous ne serions pas là pour discuter de leur éventuel effet pathogène !!
Seul l'avenir pourra nous dire si la cohabitation avec les virus géants doit être la source de nouvelles inquiétudes. De toutes façons, il est probable qu'ils s'invitent chez nous depuis longtemps…. il suffisait juste de les chercher pour les trouver !
Article rédigé par Valérie Mils, Maître de conférence en Biologie du développement -Centre de Biologie du développement - Université Paul Sabatier à Toulouse. Mis en ligne le 9 octobre 2013.