Toute une histoire
1997 :
La grippe aviaire fait régulièrement parler d'elle depuis qu'à Hong-Kong en 1997, l'agent responsable de la maladie, le virus H5N1
(1), normalement spécifique des oiseaux, infecte 18 personnes. Six en meurent. Certes, le nombre est faible mais il montre que le virus peut franchir la barrière d'espèces.
2004-2011 :
En 2004, un nouvel épisode de grippe aviaire a lieu en Asie.
Des millions de volailles sont tuées pour limiter la propagation du virus.
23 personnes meurent au Vietnam et en Thaïlande. Depuis, le virus s'est propagé au Moyen Orient, en Europe et en Afrique,
contaminant des volailles, des chats, des porcs et l'Homme.
Au total,
le 24 Janvier 2012, l'OMS recensait
583 cas de personnes infectées; 344 en sont mortes. Ces données montrent que le virus contamine rarement l'Homme. Il est donc
peu contagieux mais mortel dans la majorité des cas.
Mais la crainte est que le virus mute et puisse alors se propager facilement chez l'homme. S'il garde sa virulence, il pourrait alors provoquer une pandémie comparable à celle de la grippe espagnole causée par le virus H1N1 qui a tué en 1918 plus de 30 millions de personnes.
Aujourd'hui, plusieurs stratégies sont développées pour produire un
vaccin efficace et spécifique contre le virus H5N1. Mais
à ce jour, il n'en existe pas. Certains agents antiviraux (par exemple le Tamiflu(r)) sont utilisés pour éviter de graves complications. S'ils freinent effectivement la propagation du virus, ces agents ne guérissent pas et des cas de résistance ont déjà été rapportés.
Le virus apocalyptique, la pause et après ?
Septembre 2011 : lors de la 4e conférence européenne sur la grippe (Malte, 11-14 Septembre), le Prof. Ron Fouchier annonce que
son équipe hollandaise a créé une version mutée du virus H5N1 capable de se transmettre d'un furet à l'autre. Le furet est le modèle favori des virologistes pour étudier la transmission de la grippe chez les mammifères
(2). Un peu plus tard, Yoshihiro Yawaoka, un compétiteur japonais travaillant aux USA, déclare qu'il a également créé, en utilisant une approche différente
(3) , une souche de virus H5N1 transmissible entre furets et qu'il soumet ses travaux à la non moins prestigieuse revue Nature.
Avant que les revues Science et Nature ne donnent leur accord à la publication, elles contactent l'agence de biosécurité américaine (NSABB) :
Faut-il ou non publier les travaux en l'état ou supprimer les informations « sensibles » qui pourraient être utilisées par les bio-terroristes?
20 janvier 2012 : Dans une lettre publiée dans Science,
Fouchier propose une pause, un moratoire de deux mois sans expériences,
pour réfléchir aux enjeux de ce type d'expériences et à leurs bénéfices en terme de connaissance et de santé publique.
16-17 Février 2012 : Une conférence organisée par l'OMS à Genève réunit une trentaine d'experts scientifiques, les éditeurs des revues Nature et Science et des membres d'organismes sanitaires.
Ils sont favorables à la publication intégrale des travaux.
Mai et Juin 2012
Les publications tant attendues des travaux des deux équipes sont enfin disponibles. Après plus de 8 mois de débat international souvent féroce, l'article du laboratoire hollandais de Fouchier paraît dans le numéro du 22 Juin de la revue Science, un peu plus d'un mois après celle du groupe de Kawaoka dans la revue Nature.
En quelques mots que disent leurs travaux ? Jusqu'à présent la souche virale H5N1 qui sévit actuellement n'a pas provoqué de pandémie chez l'Homme car elle ne se transmet pas par voie aérienne (toux, éternuements), contrairement aux autres souches de virus influenza responsables d'épidémies de grippe chez l'Homme. Les chercheurs ont donc forcé le virus H5N1 à se propager, non pas d'homme à homme, mais entre furets
(2) . Bien qu'ils ne s'y soient pas pris de la même façon,
(3), les expériences des deux équipes aboutissent à la même conclusion :
il suffit d'une poignée de mutations pour que le virus puisse se transmettre aisément entre furets.
Représentation imagée du virus H5N1 avec les protéines qui tapissent sa surface.
Janvier 2013
Le moratoire volontaire des spécialistes du virus influenza prend fin. Les virologistes regagnent leurs laboratoires après un an d'interruption, comme l'ont annoncé simultanément les revues Science et Nature le 23 Janvier. Il aura fallu 12 mois, et non les 2 mois initialement prévus, pour que public, organismes financiers et scientifiques s'accordent sur le bien-fondé de telles expériences et les mesures de sécurité à mettre en œuvre pour éviter la fuite délibérée ou accidentelle de redoutables mutants viraux. Les recherches vont reprendre pour comprendre comment le virus H5N1 pourrait devenir réellement dangereux pour l'Homme et quelle serait la riposte sanitaire à mettre en oeuvre si une pandémie advenait. Pour les spécialistes, les avantages de telles expériences dépassent largement les inconvénients « parce que le risque qu'un virus H5N1 capable de se transmettre à l'Homme émerge dans la nature est bien réel ».
Notes :
(note 1) Les deux lettres H (pour hémagglutinine) et N (pour neuraminidase) correspondent à deux protéines présentes à la surface du virus. Ce sont elles qui déterminent la spécificité d'interaction virus/hôte, autrement dit quelle espèce (Homme, porc, oiseau…) est infectée. On a identifié 16 types de neuraminidase et 9 d'hémagglutinine; leur combinaison particulière est utilisée pour nommer la souche virale à l'étude (H5N1, H1N1, H5N2…). En cas d'infection, ces deux protéines provoquent la formation d'anticorps protecteurs. Chaque année, des souches sont sélectionnées pour la fabrication de vaccins antigrippaux.
(note 2) Le furet Mustela putorius furo est un modèle privilégié depuis 1933 pour étudier en laboratoire les modes de transmission de la grippe chez les mammifères. Les souches virales qui infectent l'homme infectent également le furet qui développe une pathologie proche de celle observée chez l'Homme.
(note 3) Deux stratégies différentes ont été utilisées par les deux laboratoires concurrents pour isoler un virus transmissible par voie orale entre furets. L'équipe de Fouchier a commencé par apporter 3 mutations au virus H5N1 isolé d'une victime en Indonésie. Ils ont ensuite inoculé cette souche mutante à des furets. Quelques jours plus tard, ils ont prélevé des échantillons sur leur gorge, leur nez et leur poumon qu'ils ont concentrés avant de les inoculer dans le nez d'un nouveau groupe de furets sains. Ils ont ainsi effectué 10 passages successifs. Après quoi, ils ont obtenu des virus contagieux, capables de se transmettre par voie orale d'une cage à l'autre. Dans le cas de Kawaoka, les chercheurs ont procédé à une recombinaison entre le génome du virus H5N1 et celui d'une souche pathogène pour l'Homme du virus H1N1.
Références de revues et de livres disponibles à la Médiathèque Cartailhac du Muséum
H5N1
télécharger (PDF, 901 K)
Liens du web (veille) "H5N1"
sur Delicious.com