
Vous avez dit biodiversité ?
Oui, biodiversité. En voilà un mot repris à tout va : militants, média, personnalités politiques, communication de certaines grandes entreprises... On s'y perd un peu, le sens de ce concept peut paraître obscur. Littéralement, la biodiversité est l'ensemble de la diversité du vivant. Il englobe bien sûr toutes les espèces d'êtres vivants, les relations qui existent entre-elles, mais aussi la diversité des milieux, des paysages, et même la diversité génétique au sein des espèces (intra-spécifique).
Mais pourquoi en parle-t-on autant en ce moment ? Parce que sa fragilité fait qu'en cette période, elle est affectée comme jamais à cause d'une seule espèce : Homo sapiens . « Nous transformons la Terre tel qu'aucun autre événement cosmique, tellurique ou géologique ne l'a fait de manière aussi brutale depuis des millions d'années. Nous avons changé d'ère » avance le glaciologue Claude Lorius1 . Cette crise de disparition des espèces, la 6e qu'ait connue notre planète, est caractéristique de cette nouvelle ère d'ailleurs nommée Anthropocène. D'ici à 2100, nous pourrions provoquer la disparition de 12% des oiseaux, 25% des mammifères et 32% des amphibiens2.
Pourtant, la biodiversité est précieuse à bien des titres : sans disserter sur le côté non-éthique de faire disparaître des créatures que la vie a mis des millions d'années à parfaire, on peut aussi simplement penser aux bienfaits pour l'Homme que rend la biodiversité : nourriture, médicaments, habitats... rien que ça ! De fait, sa conservation devient une préoccupation. Ainsi le 18 mars dernier, l'assemblée nationale a adopté en deuxième lecture le projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages. Son adoption définitive est prévue avant l’été. Il vise à rétablir avec la nature des relations non seulement harmonieuses mais fructueuses, bonnes pour la santé, bonnes pour l’innovation et bonnes pour l’emploi3.
La nature, un concept sociétal.
Si le concept de biodiversité n'est pas forcément facile à cerner, ce n'est rien à côté de la notion de « nature ». Dans notre société, elle est souvent perçue comme l'ensemble de ce qui, dans le monde physique, n'apparaît pas comme (trop) transformé par l'Homme. Ainsi, on l'oppose souvent à la ville. Pour se promener dans la nature, il faut s'éloigner de nos habitations. Mais la campagne française peut-elle réellement être englobée dans la « nature » ? A bien y réfléchir, c'est un paysage complètement et continuellement transformé par l'Homme. Les forêts, alors ? Elles sont toutes gérées (chasse et commerce du bois notamment). Oui, mais il reste la montagne ! C'est la nature, non ? Et bien... non. Une grande majorité de ses espaces est parcourue par des troupeaux domestiques. Les marécages, peut-être ? Ils ont pour la plupart été asséchés, et sont de plus très souvent alimentés par un réseau hydraulique modifié par l'Homme... Pour résumer, hormis sur de minuscules placettes éparpillées, nous pouvons admettre que la nature, dans son sens le plus noble, originelle, n'existe plus en France métropolitaine. Triste constat.
Lowland rainforest, Masoala National Park, Madagascar CC by SA Franck Vassen via Wikipedia
Ce n'est pas le cas, fort heureusement, dans les zones les moins habitées de la planète. D'ailleurs, pour de nombreuses ethnies vivant au contact de la nature, ce mot n'existe pas dans leur langue4. Pourquoi ? Parce qu'il désignerait le monde physique, l'univers, l'ensemble des choses et des êtres, la réalité... mais aussi la maison, le garde-manger, la trousse à pharmacie... et il n'y a pas de mot pour ça. La nature est tout, et elle est partout. Ce concept de nature, propre à notre société occidentale, n'est que le reflet de notre opposition au reste des êtres vivants et de leur fonctionnement. La plupart des nos concitoyens se sentent dans certains cas en « lutte » contre la nature : il n'y a qu'à constater notre relation aux « mauvaises herbes » ou aux animaux « nuisibles ». Et le vain besoin de la maîtriser est communément ancré dans nos esprits. Quand à la place de la nature en ville, il est possible de recueillir autant d'avis que de citadins interrogés : inexistante pour le militant ultra-écologiste, utopique pour le rêveur naturaliste, dans l'air du temps pour l'architecte urbaniste, rassurant refuge pour le couple d'amoureux en quête de tranquillité, utile pour celui qui veut faire son footing, invisible pour l'homme pressé, dérangeante - voire sale - pour le maniaque des surfaces lisses.
Fleur sur trottoir ©Muséum de Toulouse
Projet d'urbanisme ville naturelle CC by SA Luca Nebuloni via Wikipedia
Un exemple de naturalité : le Sentier Oublié des Jardins du Muséum
De ce constat est née une idée : et si on laissait la nature tranquille, libre ? Elle, qui est à la fois artiste et architecte, si on la laissait créer sans contraintes ? Et si on le faisait au cœur même de la quatrième ville française ? Puisque de toute manière elle était là avant, et sera sûrement là après... Le muséum de Toulouse tente l'expérience, depuis 2007, dans un espace nommé le Sentier Oublié, au sein des Jardins du Muséum à Borderouge.
Ce site est l'ancien terrain d'une ferme, qui entourait une gravière exploitée durant les années 1930, puis abandonné durant plusieurs décennies. Progressivement, la nature a repris ses droits, recouvrant les traces de la présence humaine. Jusqu’à devenir un lieu d’une grande richesse pour un biotope situé en milieu urbain. Il permet d'ailleurs l'observation de la « reconquête » d'un milieu perturbé par l'Homme, selon le principe de succession végétale (stades successifs de la végétation). Cet espace rassemble, sur une surface de seulement 3 hectares, une véritable mosaïque de milieux naturels : prairies, buissons, jeune forêt, mais aussi une roselière. Cette dernière est une zone humide à niveau d’eau variable, colonisée par des roseaux. Elle forme un écosystème de transition, à l’interface entre milieu terrestre et aquatique, très rare en Midi-Pyrénées.
Roselière aux Jardins du Muséum à Borderouge (Toulouse) ©Muséum de Toulouse
Le Sentier Oublié est géré selon le principe de « naturalité » selon lequel la terre et sa communauté de vie ne sont point entravées par l'Homme, où l'Homme lui-même n'est qu'un visiteur de passage. La seule action menée est l'entretien du sentier permettant les visites, pour des raisons de confort et de sécurité. Cet exemple de naturalité en ville est à notre connaissance le seul en France, puisque le site de la Petite Amazonie de Nantes, une référence, est pâturé dans certaines zones par des vaches de race Highland 10 mois par an.
Mais pour quel résultat ?
Cette tranquillité porte-elle ses fruits en termes de biodiversité ? Il semble bien que oui. Les Jardins du Muséum sont en pôle position des « Hot-Spot » de biodiversité de la ville de Toulouse, avec par exemple au moins 80 espèces d'oiseaux recensées fréquentant le site, un record. Il en est de même pour les odonates (groupe des libellules), avec 22 espèces détectées. De plus, il abrite quelques raretés : pour les oiseaux, la discrète Chouette hulotte (Strix aluco) et le flamboyant Loriot d'Europe (Oriolus oriolus), très rares en ville, ou encore le Blongios nain (Ixobrychus minutus), plus petit héron européen. Il s'agit d'une espèce migratrice très peu souvent observée en France, extrêmement discrète et fuyant les perturbations causées par l'Homme. Cet oiseau n'a été observé que 7 fois en Midi-Pyrénées depuis 2006 selon les bases de données naturalistes5, mais il semblerait qu'il soit en train de s'installer au cœur de la roselière. En 2015, au moins 3 mâles chanteurs y ont été entendus. Il s'agirait plus exactement d'une réinstallation sur ce site, où sa présence a été notée au début des années 2000, avant la construction des Jardins du Muséum. Cette nouvelle année devrait permettre de confirmer leur présence et pourquoi pas leur reproduction... mais chuuuut, c'est un secret.
Blongios nain Ixobrychus minutus mâle CC by SA Tonda Skutan via Wikipedia
Loriot d'Europe Oriolus oriolus mâle, Ayódar, Valencia, Spain CC by SA Paco Gomez via Wikipedia
Références
1. "Voyage dans l'Anthropocène - cette nouvelle ère dont nous sommes les héros", Claude Lorius et Laurent Carpentier. Editions Actes Sud, 2011.
2. Extinction des espèces et crises d’extinction (cnrs.fr)
3. Le projet de loi Biodiversité adopté au Sénat
4. « Par-delà nature et culture » Philippe Descola. Gallimard, 2005.
5. Base de données naturaliste Midi-Pyrénées
Article rédigé par Patrice Lucchetta Médiateur scientifique au Muséum de Toulouse - Mis en ligne le 24 mai 2016.
Comment en profiter ?
Les Jardins du Muséum vous proposent, à partir de début de mai jusqu'à fin octobre, de venir découvrir cette précieuse bulle de nature. Au cours de visites, accompagnés par un médiateur scientifique, vous pourrez vous immerger dans cette ambiance unique en ville, dépaysante et parfois déroutante : le temps semble s'y arrêter. S'il est difficile d’apercevoir les animaux sauvages, vous découvrirez les traces qu'ils laissent, et apprendrez à « lire » la nature, l'observer pour la comprendre, ou simplement la contempler. Chaque détail au bord du Sentier Oublié peut devenir source d'émerveillement...
Les Jardins du Muséum, à Borderouge, 24-26 avenue Bourgès-Maunoury, 31200 Toulouse.
Ouverts au public de mai à octobre, du mardi au dimanche.
Mini-Visites du Sentier Oublié (30 min), le mardi, jeudi et vendredi à 12h et 16h30. Visites complètes (1h) le mercredi et le samedi à 16h30, et le dimanche à 10h30, 14h30 et 16h30. Gratuites avec le billet d'entrée. Jusqu'à 10 personnes.