
À la une: Œufs de Bruant Proyer, Emberiza calandra, collection Perrin de Brichambaut (Crédit : Didier Descouens/MHNT)
Cette collection oologique unique en France de 920 taxons (espèces et sous-espèces) et de 15590 spécimens revêt un intérêt scientifique indéniable puisqu'elle concerne essentiellement la zone biogéographique du paléarctique (avec 1669 espèces décrites) qui comprend toute l’Europe, les régions arctiques, boréales et tempérées d’Asie au nord de l’Himalaya, l’Afrique du Nord jusqu’au Sahara au sud, une partie de la péninsule Arabique, et le sud de l’Asie jusqu’au Pakistan, à l’Himalaya et à la Chine centrale.
Figure 2: Les sept zones biogéographiques mondiales (Crédit : Oiseaux-libre.net)
Dinosaures à plumes et sous-estimation du nombre d'espèces
Mais que savons nous aujourd'hui exactement des oiseaux et de leurs œufs? Au-delà du fait que l'on découvre de plus en plus de dinosaures qui portaient déjà des plumes (y compris chez les dinosaures herbivores, qui contrairement aux carnivores à bassin de lézards, ne sont pas les ancêtres directs des oiseaux), certains ornithologistes pensent que le nombre d'espèces actuelles décrites, soit près de 10000, se rapprocherait plutôt du double, soit près de 20000!
Figure 3: Typologie de classement des œufs d'oiseaux d'après leur forme (Crédit : Makatsch)
Des formes adaptées aux conditions de vie
Les œufs d'oiseaux résument parfaitement leur adaptation aux changements dans l'environnement, que ce soit à travers leur couleur ou leur forme. Ainsi les striures ou les taches présentes sur les œufs des passereaux ou des pingouins qui servent à camoufler l’œuf des prédateurs, apparaissent quelques heures avant la ponte, quand l’ovule reçoit le blanc (albumen) et la coquille (pigmentée ou non). Chez les pingouins et les guillemots (Alcidés), la forme de l’œuf en toupie a longtemps été expliquée par le fait que les femelles nichant au bord de corniches, cette forme aurait évité à l’œuf de rouler. De même chez les rapaces nocturnes (Strigiformes), qui nichent dans des endroits obscurs, la forme sphérique des œufs aurait constitué un avantage, en uniformisant leur résistance, en cas de dommage accidentel provoqué par la mère lors de son retour au nid. Bien que très diversifiée, la forme des œufs s'est longtemps résumée en quatre formes majeures définies par Wolfgang Makatsch : ovale, ovale pointu, elliptique et piriforme. En ajoutant deux variables (court ou long) à chacune de ces quatre formes majeures, on a pu retrouver l'ensemble de la diversité de formes d'œufs présentes chez tous les oiseaux. Toutefois, une nouvelle explication de cette diversité de forme et de son évolution a été apportée récemment, dont le vol en serait la cause!
Le vol aurait aussi contraint la forme des œufs
Ainsi une étude morphométrique d'envergure, quantifiant la forme plus ou moins elliptique et symétrique des œufs de 1400 espèces représentant tous les ordres des oiseaux, a pu mettre en évidence que les oiseaux des espèces qui volent le plus, ayant développé un corps plus léger et fuselé, auraient développé des œufs plus allongés et asymétriques, adaptés à leur pelvis. Ainsi la forme des œufs des oiseaux aurait évolué suivant deux paramètres, correspondant à leur allure elliptique et à leur asymétrie, directement influencée par la forme des os de leur bassin.
Figure 4: Evolution de la diversité de forme des œufs d'oiseaux suivant leur asymétrie et leur ellipticité (Crédit : Stoddart et al. 2017)
Couleurs et motifs des œufs : une histoire d'obscurité et de prédation
En ce qui concerne les motifs et les couleurs des œufs, extrêmement variables, il semblerait d'après les dernières études phylogénétiques, que les œufs blancs immaculés (sans motifs) correspondraient à l'état ancestral exprimé par les premiers oiseaux (période de crise crétacé/tertiaire), qui serait lié à une adaptation à la faible luminosité des nids situés dans des cavités (creux d'arbres ou de roche), ce qui aurait permis aux parents de mieux repérer leurs œufs et de ne pas les écraser dans l'obscurité. Ainsi, les œufs situés dans des nids à l'abri des prédateurs seraient significativement plus blancs et sans motif, que d'une autre couleur avec motif. Inversement, les œufs de couleur marron correspondent à des œufs d'espèces cryptiques, majoritairement pondus par des oiseaux qui nichent au sol. La couleur marron est souvent associée aux motifs présents sur la coquille. Ainsi des œufs tachetés apparaissent systématiquement chez des espèces dont les nids sont vulnérables, mais pas uniquement au sol, puisque les motifs sur les œufs se retrouvent également chez des oiseaux qui nichent en hauteur (corniches ou arbre) mais dont les nids ne sont pas bien protégés des prédateurs ou des parasites. Enfin, la couleur bleue présente sur les œufs de certaines espèces au sein de familles différentes serait corrélée à des nids vulnérables aux prédateurs, ce qui pourrait signifier une adaptation cryptique secondaire de ces œufs à la végétation dans laquelle ces oiseaux nichent.
Figure 5: Œufs de Chevêchette d'Europe, Glaucidium passerinum, de Perdrix rouge, Alectoris rufa, de Mainate religieux, Gracula religiosa et de Traquet oreillard, Oenanthe hispanica, collection Perrin de Brichambaut (Crédit : Didier Descouens/MHNT)
Taille et poids : une extrême diversité
En plus de la forme, des motifs et de la couleur, les œufs d'oiseaux nous interpellent aussi par leur diversité de taille et de poids, allant des œufs de colibri mesurant 1 cm et pesant moins de 0,5 g jusqu'aux œufs d'autruche dépassant les 15 cm et pesant près de 2 kg. Un même individu peut également pondre un œuf nain parmi une couvée ou au contraire des œufs plus grands que la normale du fait du jaune double (jumeaux rarement viables). Dans les deux cas, il s'agit généralement de jeunes femelles qui pondent leurs premiers œufs.
Figure 6: Œufs d'Autruche, Struthio camelus, et de Colibri huppé, Orthorhyncus cristatus exilis, collection Perrin de Brichambaut (Crédit : Didier Descouens et Roger Culos/MHNT)
Le Muséum couve ses œufs
Même s'il reste encore beaucoup de tendances évolutives à confirmer ou à découvrir, et afin de profiter au mieux de la collection d'œufs paléarctiques de Jacques Perrin de Brichambaut, le Muséum d'Histoire Naturelle de Toulouse a commencé à mettre en ligne sur Wikipedia les photographies des œufs de chaque espèce et sous-espèces de la collection, permettant au public amateur de déterminer n'importe quel œuf d'oiseau paléarctique, tout en rappelant que le ramassage des œufs d’oiseaux sauvages reste formellement interdit.
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Article rédigé par Henri Cap, Muséum de Toulouse, et Charlène Verbeke, étudiante en Master Evolution Patrimoine Naturel et Sociétés, Spécialité Systématique Evolution Paléontologie, Muséum National d'Histoire Naturelle
henri.cap@toulouse-metropole.fr
charleneverbeke@yahoo.fr
Mis en ligne le 14 avril 2021