
La reproduction frénétique du papillon Eudémis
La température de l'air, au dessus de 10°C, est idéale pour que les premiers mâles adultes du petit papillon nocturne Eudémis (Lobesia botrana) émergent de la chrysalide dans laquelle ils ont passé l'hiver, volètent en attendant l'éclosion des femelles et s'accouplent quelques semaines plus tard. Les femelles pondent leurs œufs -une bonne centaine en quelques jours- juste au moment où apparaissent les inflorescences de la vigne (Vitis vinifera) : c'est un régal pour la chenille qui va s'y développer. En moins d'un mois, les chenilles se transforment en chrysalides d'où émergera la deuxième génération de papillons. Suivant les conditions climatiques, une troisième et même une quatrième génération voient le jour avant l'automne. Une vraie plaie pour le vigneron car les générations successives de chenilles, ou vers de la grappe, attaquent les bourgeons floraux puis les grains de raisin, y forant un trou où moisissures et pourritures croissent sans retenue. La vinification devient plus difficile et les rendements moindres. Comment lutter contre ce fléau qui depuis son apparition en Autriche s'est répandu dans toute l'Europe, est parvenu au Japon, au Chili et en octobre 2009 dans les fameuses vignes californiennes de la Nappa Valley?
Photos : Lobesia botrana - chenille sur une grappe de raisin et papillon papillon sur la vigne © INRA, (Coutin R. / OPIE)
L'escalade chimique ou la lutte biologique ?
Bien entendu, le vigneron peut épandre des insecticides qui tueront ce lépidoptère tortricidé, mais le traitement n'étant pas ciblé, il pourra provoquer l'élimination involontaire d'autres espèces, polluera les sols sur une longue période et favorisera, à plus ou moins long terme, l'émergence d'une population de papillons résistante à l'insecticide.
Heureusement, des solutions plus écologiques et plus ciblées sont disponibles, parmi lesquelles le piège sexuel. La femelle Eudémis émet des hormones sexuelles ou phéromones (du grec pherein : porter et horman : exciter) auxquelles le mâle est particulièrement réceptif.
La stratégie de lutte biologique consiste à synthétiser les principaux composants de la phéromone et à les concentrer dans un diffuseur -la boucle rencontrée le long des vignes-. Celle-ci libère son odeur et empêche les mâles adultes de trouver et féconder les femelles ! Les diffuseurs sont actifs pendant 3 à 4 mois, c'est à dire qu'ils sont efficaces sur toutes les générations du papillon. Une bonne nouvelle : jusqu'à présent seul un groupe industriel en avait le monopole, mais une petite compagnie italienne est rentrée dans la course. Pour le même prix, plus de parcelles peuvent être traitées, sans aucun dommage pour le viticulteur, et le traitement n'en est que plus efficient.
Une petite précision de taille qui illustre les bienfaits du respect de la biodiversité : lorsque des vignes sont entourées de garrigues, il n'est pas utile d'y poser des pièges sexuels, l'abondance et la diversité des plantes dont raffole la chenille de Lobesia botrana, en particulier le laurier des bois (Daphne gnidium) et le lierre (Hedera), y sont telles que les papillons n'envahissent pas les vignes avoisinantes.
Stratégies similaires pour d'autres prédateurs
Paysandisia archon est un joli papillon diurne originaire d'Amérique latine qui est arrivé accidentellement en Espagne dans les années 1990. Ses chenilles ne se régalent pas de raisins mais forent le tronc des palmiers de Méditerranée pour se nourrir de leur cœur, condamnant la plante à plus ou moins longue échéance. Des chercheurs de l'INRA, du CNRS et du Cirad ont récemment observé la parade nuptiale de ce papillon et ont été intrigués par le comportement des mâles qui se frottent régulièrement les pattes médianes. En étudiant ces appendices à la loupe, ils ont constaté qu'ils portaient des glandes sexuelles. Ils en ont extrait les hormones, les ont synthétisées et présentées à des femelles qui en étaient tout émoustillées ! La prochaine étape est d'utiliser cette stratégie à grande échelle pour provoquer la confusion sexuelle et ainsi sauver la vie de milliers de palmiers ornementaux ou dattiers dont les fruits font le délice de nos palais.
Photo : Adulte de Paysandisia Archon, (© INRA , Jean DRESCH)
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Article rédigé par Dominique Morello (chercheuse CNRS, détachée au Muséum). Mis en ligne le 19 avril 2013.