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Biodiversité

Biodiversité : grand défi du XXIe siècle

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Biodiversité : grand défi du XXIe siècle
À la fin du XXe siècle, un constat édifiant vient bouleverser les connaissances et les croyances entourant le concept de biodiversité. Au moment même où l’on découvre l’étendue considérable de la biodiversité, on se rend également compte de son déclin et de l’urgence d’agir pour sa protection. Dès lors, de grands projets d’étude et de conservation de la nature sont lancés de par le monde. Qu’on se le dise, le XXIe siècle sera celui du « vivant » ou ne sera pas !

Biodiversité, un concept récent...

« Biodiversité », un mot usuel, facile à utiliser, plein de sens qui permet de parler sans équivoque de la « diversité biologique » – quel que soit sa profession, son âge ou sa culture. Alors pourquoi un concept si « simple » a pris tant de temps à émerger ?
Il faut attendre les années 80 et la mise au point de nouvelles méthodes d’échantillonnage de la petite faune pour que le terme de « diversité biologique » – devenu « biodiversité » par un raccourci en anglais (biological diversity = biodiversity) – émerge et fasse le tour du monde. Ce n’est qu’en 1988, lors de la 18ème assemblée générale de l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature), qu’une première définition fut proposée et explicitée. Selon Edward O. Wilson, dont les écrits figurent parmi les premiers à mentionner le mot biodiversité, il s’agit de « la diversité de toutes les formes du vivant, qui s’exprime à trois niveaux : les écosystèmes, les espèces qui composent les écosystèmes et, enfin, les gènes caractéristiques de chaque espèce1. »


… et une étendue insoupçonnée !

Au début des années 80, de manière contemporaine à l’émergence du concept de biodiversité, un élément perturbateur vient réduire à néant le rêve des naturalistes de l’époque : dresser un inventaire exhaustif du monde vivant.
Ce sont notamment les expériences de fogging de Terry Erwin qui vont servir de déclencheur. En 1982, dans la forêt amazonienne, Erwin asperge un arbre isolé avec un brouillard contenant un puissant insecticide. Il récupère, trie et classe les organismes – majoritairement des insectes – tombés au sol. Le constat est édifiant ! Sur un seul arbre d’Amazonie, le nombre d’espèces d’insectes est du même ordre de grandeur que celui de l’ensemble des insectes connus pour toute l’Amérique du Nord. Dès lors, les extrapolations faites à partir du nombre total d’espèces décrites (autour de 1,4 million à l’époque) varient du tout au tout3 : 5, 10, 30, 50 voire 100 millions d’espèces

 

Fig. 1 : Expérience de fogging en forêt tropicale. © Roger Le Guen – Panacoco

Ces estimations et les incertitudes qui les accompagnent ont eu des conséquences fortes. D’une part, il devient clair que notre connaissance du « tissu vivant » de notre planète est infime – et l’est toujours aujourd’hui. D’autre part, c’est la prise de conscience que pour étudier cette biodiversité, une toute autre force de frappe (moyens humains, financiers, techniques, logistiques…) est nécessaire. Enfin, un constat inquiétant apparaît : les régions les plus riches en espèces se trouvent également être les plus pauvres, les plus polluées et celles qui voient leur environnement le plus menacé. Au moment donc où l’on entrevoit l’étendue de la biodiversité, il faut se pencher activement sur sa protection.


Crise du vivant : vers une sixième extinction de masse

Dès les années 80, Edward O. Wilson a cette intuition que des espèces disparaissent « avant même que nous le sachions ». La biodiversité est à la fois cette diversité « qu’il reste à découvrir » et « qui risque de disparaître 4».
Aujourd’hui, et dans une indifférence quasi générale, notre planète entre dans une nouvelle phase d’extinction de masse. Contrairement aux cinq précédentes crises du vivant, celle-ci ne résulte pas de processus naturels mais est le fait d’une seule espèce : Homo sapiens. Destruction et fragmentation des habitats, surexploitation des ressources, surconsommation, pollution, espèces invasives et maladies, changement climatique… le Millenium Ecosystem Assessment – un rapport publié en 2005 – montre qu'au cours des 50 dernières années, l'être humain a davantage transformé son environnement que pendant toute son histoire5, avec pour conséquence une érosion effrénée de la biodiversité.


 
biodiversite La trajectoire de l’Anthropocène la grande accélération

Fig. 2 : « La trajectoire de l’Anthropocène : la grande accélération »6. The Anthropocene Review, 2015.

 

Ce qui distingue la situation actuelle du passé, c’est l’ampleur et la vitesse de la perte de biodiversité à laquelle nous sommes confrontés et risquons d’être confrontés dans un avenir proche. Aujourd’hui, ce n’est plus un type particulier d’espèces qui est menacé mais des espèces de tous types, et ce, à un rythme inconnu jusqu’alors7. Le rapport Planète Vivante 2016 du WWF montre par exemple une réduction / diminution de 58% de la taille des populations de vertébrés entre 1970 et 20128.

 

evolutions des espèces depuis 1970
 
Fig.3 : Évolution de l’abondance de 14 152 populations de 3 706 espèces suivies sur le globe entre 1970 et 2012.
La ligne blanche exprime la valeur de l’indice, et les zones foncées, les limites de confiance entourant la tendance (WWF/ZSL, 2016).


Cette tendance, en passe de s’accentuer au cours du XXIe siècle, risque d’accroître encore davantage les inégalités entre états, peuples et citoyens. Poussés par la nécessité, certains d’entre eux accentueront leur pression sur l’environnement, aggravant l’érosion de la biodiversité par effet d’emballement9.

 

deux nouvelles espèces de tarsiers decouvertes en indonesiePréserver la biodiversité : une tâche titanesque !

Comment alors rompre ce cercle vicieux ? Il n’y a pas de réponse simple à cette question. Ce qui est certain, c’est que nous manquons de connaissances sur la biodiversité planétaire, la composition et le fonctionnement des écosystèmes qui nous entourent. Ainsi, 90% du vivant resteraient à découvrir, majoritairement des espèces cryptiques, rares et/ou microscopiques – même si de nouvelles espèces d’oiseaux voire de mammifères sont décrites chaque année.

Fig. 4 : Deux nouvelles espèces de Tarsier récemment découvertes sur l’île de Sulawesi, en Indonésie : Tarsius spectrumgurskyae (à gauche) et Tarsius supriatnai (à droite)10. Illustrations : Stephen D. Nash.

 


Sous la pression des activités anthropiques, de nombreuses espèces disparaissent avant même qu’elles ne soient découvertes. Pourtant, les moyens alloués à l’étude et à la préservation de la biodiversité restent largement insuffisants. Au rythme actuel de la progression des connaissances (environ 16 000 nouvelles espèces sont décrites chaque année), il faudrait 250 à 1 000 ans pour aboutir à l’inventaire de la biodiversité réclamé par les décideurs, les scientifiques et les gestionnaires11. Mais que restera-t-il de cette biodiversité dans 250 ou 1 000 ans ?
À ce « handicap taxonomique » s’ajoute la problématique des relations Nord-Sud. Les pays du Sud, réservoirs de la biodiversité la plus importante et la plus menacée, ne possèdent souvent pas les connaissances, les infrastructures et les moyens suffisants pour la préserver. Les pays du Nord, bien que bénéficiant de conditions plus favorables, font eux aussi face à de nombreuses contraintes : biodiversité quantitativement moins élevée, manque d’accès à l’information, manque de moyens humains et financiers...

 


La nécessité de faire des choix

Protéger toutes les espèces est un objectif inaccessible. Des choix s’imposent alors. Mais lesquels ? Selon quels critères ? Avec quels outils ? De ces questionnements a progressivement émergé l’idée de zones d’action prioritaire : les 218 endemic birds areas de Birdlife International, les 200 éco-régions mondiales du World Wildlife Fund (WWF), les 35 biodiversity hotspots de Conservation International. Ces régions partagent certaines caractéristiques (biodiversité spécifique élevée, fort taux d’endémisme…) et leurs limites se chevauchent souvent. Ainsi, les hotspots recouvrent 60% de la surface des 200 éco-régions du WWF et 78% de la surface des endemic birds areas12. En résumé, ces listes de priorités représentent des outils stratégiques propres à chaque ONG de conservation, et elles peuvent permettre d’inciter à rassembler les connaissances scientifiques disponibles et à générer de nouvelles sur les zones concernées.


 Les hotspots de biodiversité

À l’origine, la question d'un chercheur, Norman Myers : « Dans quel endroit un dollar dépensé a-t-il le plus d'effet pour ralentir l'extinction actuelle ? ». Afin d’y répondre, il réalise une synthèse de la littérature existante pour aboutir, en 1988, à sa théorie des hotspots13. Il estime qu’il existe à l’échelle planétaire des zones de très forte concentration de la biodiversité, abritant un grand nombre d’espèces endémiques qui sont fortement menacées. Partant de ses travaux, la jeune ONG Conservation International définira un certain nombre de hotspots dans le but de prioriser et concentrer les efforts de conservation à travers le monde. Aujourd'hui, 35 points chauds de biodiversité sont reconnus par l’Conservation International14.

 

hotsopts points chauds de biodiversite
 
Fig. 5 : Les 35 hotspots de biodiversité identifiés à l’échelle mondiale (Conservation International).

Un hotspot de biodiversité est reconnu comme tel s’il contient au moins 1500 espèces de plantes vasculaires (tous les végétaux terrestres – à l’exception des mousses, lichens et algues – présents uniquement dans le hostpot considéré et nulle part ailleurs) et et s’il n’abrite plus que 30% de sa végétation originelle au maximum.
Principalement localisées sous les tropiques, ces régions ne représentent plus que 2,3% de la surface terrestre – alors qu’elles devaient jadis en recouvrir 15,7 %. Elles abritent environ 40% du nombre total d’espèces d’amphibiens, d’oiseaux et de mammifères et la moitié des plantes vasculaires. Et si l’on s’intéresse aux espèces animales menacées, les chiffres s’affolent : 80% des espèces d’oiseaux et de mammifères classées en danger critique (CR) par l’UICN et 90% des espèces d’amphibiens considérées en danger (EN) se trouvent dans les hotspots ! Cette situation fait des points chauds des régions où la conservation peut avoir un impact considérable sur le devenir de la biodiversité mondiale.

 


De nouvelles manières d’étudier et de protéger la biodiversité

Dans la lignée des grandes expéditions naturalistes du XVIIIe siècle, d’ambitieux programmes d’étude et de protection de la biodiversité voient le jour depuis la fin du XXe siècle, avec pour dénominateurs communs : de vastes équipes composées de nombreux spécialistes, de nouvelles méthodes et techniques, une organisation millimétrée, le tout sur un temps court.

 

le radeau des cimes pour observer la biodiversitéLE RADEAU DES CIMES

Au milieu des années 80 en France, alors que certains pensaient l’exploration de notre planète achevée depuis longtemps, Francis Hallé (botaniste et dendrologue), Dany Cleyet-Marrel (pilote) et Gilles Ebersolt (architecte) se lancent à la découverte d’un milieu neuf : la canopée des forêts tropicales. Ensemble, ils ont l’idée de créer un outil de prospection inédit, le « Radeau des Cimes », une structure de forme hexagonale déposée à la cime des arbres à l’aide d’un dirigeable – ce « radeau » servant à la fois de laboratoire et de lieu de vie pour les scientifiques15. Trente ans d'expéditions au-dessus des forêts tropicales du globe auront permis de décrire de nombreuses espèces jusqu’alors inconnues et de prendre conscience du rôle crucial de cette « surface vierge qu’il importe d’explorer avant qu’il ne soit trop tard, car la déforestation progresse à vive allure.16 »


Fig. 6 : Le radeau des cimes survole la canopée d’une forêt tropicale à l’aide d’un dirigeable.

 

LA PLANÈTE REVISITÉE ET LENGGURU

En 2006, conjointement au Radeau des Cimes, le Muséum National d’Histoire Naturelle (MNHN), Pro-Natura International (PNI) et l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD) s’associent autour d’une expédition d’ampleur : « Santo 2006 ». Quatre mois durant, plus de 200 personnes – scientifiques, journalistes, photographes, logisticiens, guides, etc. – vont contribuer à révéler la biodiversité de Santo, la plus grande île du Vanuatu. S’appuyant sur le savoir-faire de Santo 2006, le MNHN et PNI lancent en 2009 le programme « La Planète Revisitée » qui se concentre sur les 11 hotspots de biodiversité les plus menacés de la planète. Ils font le choix de travailler uniquement sur des zones très restreintes des hotspots et de concentrer leur échantillonnage sur des espèces de petite taille, peu visibles et souvent rares – la biodiversité dite « négligée ».
L’IRD n’est pas en reste et lance en 2010 la série d’expéditions « Lengguru » qui ambitionne d’inventorier et d’étudier la biodiversité des karsts de Papouasie-Occidentale dans un large panel d’écosystèmes (terrestres, souterrains et marins).
 


Fig. 7 et 8 : Entomologistes au travail durant l’expédition « La Planète revisitée » conduite par le MNHN et Pro-Natura en novembre 2016 au coeur de la « côte oubliée »,
une chaîne montagneuse vierge de toute présence humaine en Nouvelle-Calédonie. © Yann Chavance – Le Monde

 

DES OUTILS HIGH-TECH

À ce renouveau des pratiques s’associe également un renouveau des techniques et des méthodes. Quelques exemples parmi d’autres : le barcoding qui ambitionne à terme de caractériser chaque espèce à partir d’une séquence ADN spécifique,  l’utilisation de drones17 et de pièges photographiques pour le suivi des populations animales. Ces outils offrent des possibilités nouvelles aux chercheurs et aux acteurs de la conservation.


Des expéditions d’un nouveau type

Ces grands programmes ont ouvert la voie à de nouvelles initiatives qui, chacune à leur niveau et à leur manière, tente d’apporter leur écot face à la crise de biodiversité et au retard qui existe sur la connaissance du vivant. C’est le cas de l’association Naturevolution qui, avec le projet « Lost Worlds », vise à découvrir les dernières terra incognita de notre planète au travers d’une série d’expéditions innovantes. Depuis sa création en 2009, Naturevolution a mené trois grandes missions : Makay - Madagascar (2010-2011), Matarombeo - Indonésie (2014) et Scoresby Sund - Groenland (2016).

Fig. 9 : Vue aérienne du massif du Makay, Madagascar. © Evrard Wendenbaum – Naturevolution
 

Cet été, l’association organise une nouvelle expédition d’envergure dans le massif du Makay à Madagascar : l'expédition Makay 2017. Avec un souci particulier accordé à la transdisciplinarité, des chercheurs et étudiants français et malgaches ainsi que des journalistes, artistes et éco-volontaires participeront à la protection de cette région encore largement méconnue. C’est ce souci qui réunira nous – NatExplorers – avec Naturevolution autour de cette expédition et d’un objectif commun : diffuser les connaissances sur la biodiversité du Makay et sensibiliser le plus grand nombre à la nécessaire protection de la nature face aux grands enjeux environnementaux de notre époque.

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« Jusqu’au XIXe siècle, les scientifiques étaient des aventuriers, […] l’exploration de la planète n’était pas terminée. Maintenant, il faut plutôt chercher à savoir comment le monde qui nous entoure fonctionne et surtout comment l’homme va se conduire à l’égard de cette petite boule si fragile tournant dans l’univers. » – Théodore Monod


Références

1 Wilson E., 1988. The Current State Of Biological Diversity.
2 Erwin T.L., 1983. Beetles and other Arthropods of the tropical forest canopies at Manaus, Brazil, samples with insecticidal fogging techniques.
3 Erwin T.L., 1991. How many species are there? Conservation Biology, vol. 5, 330-333.
4 Devictor V., 2015. Nature en crise. Editions du Seuil.
5 Millenium Ecosystem Assessment Reports.
6 La « grande accélération ». Le Monde Diplomatique, 2015.
7 Billé R., Cury P., Loreau M., Maris V., 2014. Biodiversité : vers une sixième extinction de masse. Editions la ville brûle.
8 WWF Rapport Planète Vivante 2016.
9 La biodiversité négligée.
10 Shekelle M., Groves C.P., Maryanto I., Mittermeier R.A., 2017. Two New Tarsier Species (Tarsiidae, Primates) and the Biogeography of Sulawesi, Indonesia. Primate Conservation, 31.
11 Bouchet P., Le Guyader H., Pascal O., 2011. The Natural History of Santo. Muséum national d'Histoire naturelle, Paris ; IRD, Marseille ; Pro-Natura international, Paris.
12 Cartographier la biodiversité : les hotspots – La planète revisitée.
13 Myers N., 1988. Threatened Biotas: "Hot Spots" in Tropical Forests. Environmentalist, vol. 8, p. 187-208.
14 Why hotspots matter – Conservation International.
15 Hallé F., Cleyet-Marrel D., Ebersolt G., 2000. Le Radeau des Cimes. L’exploration des canopées forestières, Paris, J.-C. Lattès.
16 Hallé F., 2013. Le radeau des cimes. Bayar Éditions.
17 Les drones, nouveaux outils de la recherche – CNRS Le journal

 


Article écrit par  Barbara Réthoré et Julien Chapuis, biologistes, explorateurs et médiateurs scientifiques, coordinateurs d'expéditions scientifiques et chargés d'enseignement universitaire, Nat'explorers

Mis en ligne le 19 mai 2017


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