

Image du bousier.
Photo Scarabaeinae cc by-sa Frédéric Ripoll, collection Muséum de Toulouse.
Aujourd'hui, le biomimétisme consiste tout d'abord à observer et étudier les êtres vivants et leurs interactions pour comprendre leur fonctionnement, puis transposer les mécanismes du vivant vers des systèmes non biologiques. Le champ couvert par le biomimétisme englobe la plupart de nos activités : agriculture, énergie, science des matériaux, information, santé, etc.
Son impact est considérable ; en témoigne la course dans laquelle se sont lancés scientifiques de tous horizons, ingénieurs, industriels, ONG et bureaux de consultants. Des biologistes détaillent le fonctionnement des organismes, résultat de près de 3,5 milliards d'années d'évolution, jalonnée d'essais et d'impasses ; les architectes scrutent la croissance des arbres pour construire des bâtiments plus solides et durables ; des urbanistes observent les fourmis pour résoudre les problèmes du trafic ; des ingénieurs s'inspirent des requins, hiboux, pélicans, etc. pour améliorer avions et voitures. Découvrons quelques exemples de biomimétisme dans ses trois principaux niveaux d'inspiration : la forme, les matériaux et procédés, les écosystèmes.
A la recherche de la forme la mieux adaptée

Dessin : Machine volante à ailes battantes Plume et encre sur papier Extrait du Codex Atlanticus f.858r
Plus proche de nous, observons le
TGV japonais : les ingénieurs se sont
inspirés des plumes du hibou moyen duc et
du bec du martin pêcheur pour
réduire le bruit et la consommation électrique du Shinkansen 500 tout en
augmentant sa vitesse

Photo : nez du train effilé comme l'est le bec du martin pêcheur cc by-sa MK Products via wikimedia

Photo : les denticules cutanées de la peau de requin (ici un requin citron) vues en microscopie électronique à balayage engendrent des micro tourbillons qui diminuent les frottements, permettant ainsi au requin de nager vite et sans bruit cc by-sa Pascal Deynat/Odontobase via wikimedia
A Toulouse, les chercheurs de l'IMFT et du laboratoire LAPLACE s'inspirent de la
structure et du fonctionnement des ailes des grands prédateurs pour concevoir
les ailes des avions de demain. Leur objectif est de développer des ailes et ailerons flexibles et « intelligents », capables de changer de forme et de se mouvoir en harmonie avec les sollicitations extérieures, comme des ailes d'oiseaux, mais adaptées aux très grandes vitesses des avions et à leur taille. Leurs travaux visent à accroître les performances aérodynamiques (augmentation de la portance et diminution de la résistance à l'air) et de manœuvrabilité des ailes d'avion, tout en réduisant le bruit généré par les bords de fuite (la partie arrière, la plus effilée). Pour ce faire, ils utilisent une association de 3 matériaux (alliages à mémoire de forme, actuateurs piézo, polymères à haute performance) pour obtenir en des endroits très précis de grandes ou de petites déformations des ailes de l'avion en réponse aux changements d'environnement.
La voiture n'est pas en reste dans cette course vers un aérodynamisme amélioré. Ainsi,
en 2005 la marque Mercedes Benz a conçu
Bionic, une voiture
inspirée du poisson-coffre (
Ostracion cubicus), un poisson tropical des récifs coralliens des océans Indien et Pacifique.
Photobioniccarpoisson C'est sa forme, qui lui confère un coefficient de traînée très faible, et la rigidité de son exosquelette qui ont séduit les ingénieurs de Mercédès pour dessiner la carrosserie d'un « concept-voiture ». D'après des travaux récents d'une équipe belge, le poisson coffre serait loin d'être le meilleur modèle. Peut-être ce modèle restera-t-il au… coffre ! (
Van Wassenbergh S, van Manen K, Marcroft TA, Alfaro ME, & Stamhuis EJ (2015). Boxfish swimming paradox resolved: forces by the flow of water around the body promote manoeuvrability. Journal of the Royal Society, Interface / the Royal Society, 12 (103) PMID: 25505133).
A la recherche de matériaux, de structures et de procédés
Aux Etats-Unis, 4 grandes industries de matériaux - papier, plastique, métaux et produits chimiques - représentent à elles seules 71% des émissions toxiques de l'industrie (
ref. J.E. Young et A. Sachs, the next efficiency revolution, 1994).
Le rêve d'un biomiméticien de la science des matériaux est de fabriquer à température et pression ambiantes et sans solvant des biomatériaux adaptés et évolutifs, à l'instar de ce que la nature fait : nanomatériaux, céramiques, verre, colle, …
Velcro, scratch et compagnie

photo de la bardane cc by-sa Dominique Morello.
Depuis, les ingénieurs se sont intéressés à d'autres systèmes « collants ». Par exemple, le
gecko (tel
Tarentola mauritanica) n'a
pas de ventouse au bout de ses pattes
et pourtant il adhère aux parois, même lisses, grâce au système d'adhérence constitué d'une
multitude de soies micrométriques qui recouvrent ses doigts. Une structure analogue se retrouve chez des araignées sauteuses de la famille des Salticidae et chez un insecte xylophage (
Clytus arietis). Des biophysiciens s'en sont inspirés pour créer des adhésifs ultrarésistants et autonettoyants.

Les feuilles de plus de 200 plantes, les plumes de certains oiseaux ou encore les pattes de certains insectes sont
super-hydrophobes, c'est à dire que l'eau n'adhère pas à leur surface. C'est en étudiant la
feuille de lotus que les chercheurs ont découvert que
sa surface n'était pas lisse mais très rugueuse comme le montre cette image de microscopie électronique.
Les scientifiques ont reproduit ces microstructures, puis ils en ont créées à l'échelle du nanomètre (10-9 m). Les
applications sont nombreuses : tissus imperméables, bétons hydrofugés, revêtements de baignoire, à l'image de cette peinture autonettoyante destinée à revêtir les bâtiments : non seulement l'eau n'adhère pas mais elle entraine dans sa chute toutes les particules de saleté.
Aujourd'hui la NASA envisage d'utiliser de telles surfaces antiadhérentes dans la construction d'objets spatiaux dont l'entretien paraît effectivement bien difficile !
Morphos, cristaux photoniques et ordinateurs
La couleur des ailes du Morpho (Amérique centrale) fascine depuis des siècles. Mais c'est l'avènement d'instruments d'optique sophistiqués (comme par exemple le microscope électronique à balayage) qui a permis de décortiquer la structure fine des écailles et de modéliser les propriétés optiques de l'aile. Sa
couleur bleu vif n'est pas due à des pigments mais à la
structure en « nanotrous » des écailles sur lesquelles la lumière se réfléchit. Des industriels s'en inspirent pour donner aux
vêtements de la couleur sans colorants ni pigments ou l
utter contre la contrefaçon en insérant dans les
billets de banque ce type de nanostructure (Morpho complet).
Fil d'araignée et câbles plus forts que l'acier :
A la fois solide, résistant et élastique, le fil d'araignée a des qualités uniques, fortement convoitées dans plusieurs domaines de recherche : fabrication de
gilets pare-balles, de câbles pour ponts suspendus, de fil de suture biocompatible pour la chirurgie…

photo : l'araignée et sa toile Copyright
Philippe Annoyer,
expédition Sangha, Centrafrique
La quête à l'appropriation du fil de l'araignée n'est pas nouvelle, mais malheureusement l'araignée ne s'élève pas comme les vers à soie. Et, malgré nos connaissances approfondies sur les gènes qui codent les protéines constituantes, nous n'avons pas encore très bien compris comment fait l'araignée pour les structurer et fabriquer une fibre insoluble et très résistante. Dans les années 90, des chercheurs ont réussi à faire exprimer des fragments de ces protéines dans des bactéries et mieux encore, des scientifiques canadiens en ont produit dans le lait de chèvres génétiquement modifiées (transgéniques). Mais, il reste une étape critique d'assemblage et de production à grande échelle. Il paraît que la firme allemande AMSilk est en passe d'en fabriquer des ... tonnes.
Béton vert, corail et biominéralisation.
Dans le domaine de la construction,
la fabrication du béton de ciment est énergivore puisqu'elle nécessite de chauffer à 1450 °C un mélange de calcaire et d'aluminosilicates (argile). Approximativement 5% des émissions de gaz à effet de serre proviennent de cette industrie. Or le béton est un produit qu'on consomme sans modération : un peu plus de 3 milliards de tonnes par an !
Plusieurs pistes sont actuellement suivies pour produire du
béton vert, comme celle développée par l'entreprise Calera aux Etats Unis : son fondateur Brent Constantz
s'inspire de la façon dont les coraux construisent les récifs par biominéralisation. Dans son procédé, le CO2 n'est plus émis lors de la cuisson mais au contraire utilisé pour fabriquer du carbonate de calcium solide, un ingrédient essentiel du ciment. On ne connaît pas encore les performances de ce ciment dont les procédés de fabrication restent secrets ; mais si cette approche marche, elle sera révolutionnaire. Le « recyclage » du CO2 émis par d'autres industries (centrales nucléaires, serres,…) qui se trouvent à proximité des usines de béton et utilisé pour fabriquer un nouveau matériau est une illustration du principe de fonctionnement de l'écologie (ou symbiose) industrielle fondée sur l'utilisation des déchets comme ressources. Un exemple bien connu est celui de Kalundborg, une ville danoise dans laquelle 4 entreprises se sont regroupées en écoparc dans lequel les déchets de chacune servent de combustible ou de matière première à l'entreprise voisine, constituant ainsi une chaine d'utilisation de déchets industriels.
Bioluminescence, LED et éclairage public
Nous observons depuis très longtemps la capacité qu'ont de
nombreuses espèces vivantes à produire de la lumière de manière autonome et à l'utiliser pour se repérer dans l'obscurité, communiquer, attirer des partenaires sexuels ou des proies, se camoufler ou repousser les prédateurs. Plus de 700 genres de 16 phyla différents sont lumineux, tels les bactéries, les vers, les insectes, les champignons, les méduses, les poissons… mais les araignées, les amphibiens, les crabes et les mammifères ne le sont pas. Cette lumière résulte d'une réaction biochimique, appelée
bioluminescence et les recherches sur les différents mécanismes responsables de la bioluminescence ont eu de nombreuses retombées tant dans les activités humaines quotidiennes que dans le monde scientifique. Par exemple, la mise en œuvre de cette réaction dans un tube à essai, appelée chimioluminescence, est utilisée dans des
bâtons lumineux, les « glowsticks », employés à des fins d'éclairage ou de signalisation.
L'étude de la cuticule de l'abdomen des lucioles a permis d
'augmenter de 65% la puissance lumineuse des LED. Des plantes luminescentes ont également été créées selon ces principes et certains rêvent d'éclairer nos rues ou nos habitations sans électricité grâce aux techniques de bioluminescence. A l'inverse, des animaux marins, calmars, seiches ou pieuvres, experts en art du camouflage, nous apportent une application originale :
la cape d'invisibilité. En effet, les
pigments de la peau de ces animaux contiennent une protéine, la réflectine, qui
en milieu acide devient opaque aux infrarouges. Elle es
t utilisée dans le domaine militaire pour dissimuler des hommes ou des équipements aux dispositifs de vision nocturne fondés sur l'émission des infrarouges.
Les recherches sur la bioluminescence d'autres animaux marins (méduse, corail…) ont conduit également à
identifier deux protéines d'intérêt majeur au plan scientifique. La première, l
'aequorine, émet de la lumière en présence de calcium et permet ainsi d
'étudier les activités cellulaires liées au calcium (illustration bancs de méduses bioluminescentes
Aequorea victoria, vivant sur la côte ouest de l'Amérique du nord. Les cellules situées en bordure de leur ombrelle contiennent l'aequorine et La GFP). La deuxième, la « green fluorescent protein » ou GFP, émet de la fluorescence lorsqu'elle reçoit une énergie lumineuse de longueur d'onde appropriée et permet de visualiser de nombreux phénomènes biologiques dans l'organisme de manière non invasive et en temps réel. Par exemple, il est possible de coupler une protéine donnée à la GFP et ainsi de suivre sa localisation dans la cellule (noyau, membrane, cytoplasme, etc.) ou encore d'étudier la migration de la cellule ainsi « marquée » dans un organisme au cours du développement (illustration poisson zèbre copyright, CNRS, CBD. La GFP de cet embryon transgénique de poisson zèbre "colorie" son système nerveux). Ces découvertes ont révolutionné la biologie et ont valu en 2008 l'attribution du prix Nobel de Chimie à ses découvreurs Martin Chalfie, Osamu Shimomura et Roger Tsien.
A la recherche de fonctionnements moins énergivores et plus rationnels
En observant des insectes sociaux, des architectes s'inspirent du système de climatisation passive des termitières pour construire des immeubles à faible consommation énergétique. Des informaticiens étudient les déplacements des fourmis pour optimiser les réseaux de communication et de transport.
Architecture et termites
Les termites de la famille des Macrotermitinés construisent leurs
termitières de manière à créer un système de ventilation naturelle qui maintient une température intérieure constante de 30°C environ. Cette température est nécessaire au développement d'un champignon de grande taille (Termitomyces) qu'ils cultivent et qui leur assure des capacités digestives indispensables. (illustrations termites). Des cheminées centrales surplombent le nid par lequel l'air chaud est évacué, créant un courant d'air dans les parties basses du nid. Ce courant circule sous terre où il est rafraîchi au contact de puits profonds creusés par les termites ouvriers. Cet air frais remonte par le centre de la termitière qu'il rafraichit et est évacué par les cheminées et ainsi de suite.
L'architecte Michael Pearce s'est inspiré de ce système de climatisation naturelle pour concevoir l'
Eastgate Centre à Harare, au Zimbabwe. La température à l'intérieur des 31 000 m2 de bureaux et de commerces es
t constamment de 25°. 90 % d'économie d'énergie par rapport à un immeuble similaire équipé de climatiseurs électriques sont réalisés.
Fourmis, circulation et internet
Chaque fourmi a des capacités limitées, mais le groupe peut réaliser des tâches complexes. Ainsi,
certains comportements collectifs des fourmis permettent de résoudre des problèmes difficiles comme par exemple
sélectionner le plus court chemin pour aller du nid à une source de nourriture. Les
informaticiens et les ingénieurs ont pu transformer ce comportement collectif en méthodes utiles pour l'optimisation et le contrôle des réseaux. Elles portent le nom d' «
algorithmes d'optimisation par colonie de fourmis ». Ces algorithmes sont déjà testés dans les
transports aériens, la sécurité des réseaux de communication ou le trajet des milliards d'informations transitant chaque seconde sur internet.
Conclusion
Nous n'avons ébauché ici qu'une fraction des succès ou promesses du biomimétisme. Ainsi, les végétaux n'ont été illustrés que par quelques exemples alors que ce règne est source de nombreuses inspirations (vêtements intelligents, structure de nos futures villes). Notre objectif était de mettre en évidence la partie visible de l'iceberg de la bioinspiration et de montrer que, si de nombreuses percées ont été réalisées dans ce domaine, le temps nécessaire pour comprendre les processus biologiques sous-jacents et les copier ou du moins s'en inspirer, est considérable. En résumé, le biomimétisme c'est une philosophie partagée par des biologistes, des architectes, des urbanistes, des chimistes, des physiciens, des ingénieurs, des collectivités territoriales, des amoureux de la nature, pour innover en s'inspirant des êtres vivants tout en préservant la biosphère. Souhaitons que nous amorcions ainsi une véritable transition vers un autre mode de vie dont nous avons réellement besoin, comme le dit si bien Janine Benyus : « Contrairement à la révolution industrielle, la révolution biomimétique ouvre une ère qui ne repose pas sur ce que nous pouvons prendre de la nature mais sur ce que nous pouvons en apprendre… l'Homo industrialis ayant atteint les limites de ce que pouvait supporter la nature entrevoit sa propre disparition en même temps que celle d'autres espèces qu'il entraine avec lui…Plus nous nous rapprocherons de la nature, plus nous aurons de chance d'être acceptés sur cette Terre dont nous ne devons jamais oublier que nous ne sommes pas les seuls propriétaires».
Dominique Morello (Chercheuse CNRS, mise à disposition au Muséum), Mario Tovar Simoncic (historien des sciences), avec la contribution des scientifiques du CNRS suivants : Marianna Braza (Institut de Mécaniques des Fluides de Toulouse), Philippe Cochard et Marc Moreau (CBD), Jean François Guillet et Thomas Lorne (CIRIMAT) et Gérard Latil (CRCA).
Télécharger la bibliographie Entre mimétisme et biomimétisme disponible à la bilbiothèque Cartailhac en format .pdf.
Article publié sur Parlons Sciences (site web Muséum de Toulouse), le 5 juin 2015.