
Illustration préhistoire et musique : copyright Gwendole
La voix et la musique ne laissent aucune trace
Les archéologues musicaux s'accordent à dire que l'existence d'instruments de musique complexes serait la preuve d'un comportement musical ou quasi-musical et donc d'une communication symbolique avancée chez nos ancêtres préhistoriques. C'est la raison pour laquelle ils cherchent activement des témoignages de pratique musicale. Malheureusement, la voix, vecteur probable des premières mélodies, et la musique ne laissent par elles-mêmes aucune trace! Les pistes ne peuvent donc venir que des objets utilisés, marqueurs de rythme ou producteurs de sons. Mais les trouvailles sont rares du fait de la composition même des instruments, probablement matières végétales, peau, os ou corne, tous sensibles à l'outrage du temps. N'ont survécu que les témoins archéologiquement résistants, ce qui nous donne une image nécessairement restreinte ou biaisée des talents musicaux des hommes préhistoriques. Il faut également ajouter que si certains objets peuvent être classés sans aucune ambigüité comme des instruments musicaux, le statut musical d'autres, selon leur structure ou le contexte dans lequel ils ont été découverts, peut faire l'objet de débats. Enfin, des objets archéologiques sonores peuvent revêtir une apparence éloignée de celle des instruments musicaux qui nous sont le plus familiers. La recherche d'analogies avec des objets émettant des sons utilisés dans des sociétés non occidentales peut dans ce cas être d'un apport inestimable. Par exemple la manipulation d'une flûte est évidente pour nous, mais l'utilisation d'un rhombe ou d'un sistre est plus problématique. C'est l'usage d'objets similaires par des sociétés traditionnelles qui permet d'en comprendre le maniement.
Légendes et crédits des photographies des objets de collection ethnologie musicale :
- Sistre de calebasse (wusamba) en bois et calebasse - Culture mandingue, Afrique de l'ouest. Le sistre, dans la classification organologique, est un instrument qui appartient à la famille des percussions et plus précisément des idiophones.
- Photo Rhombe en bois (acquisition 1913) - Culture arborigène, Australie.
A retrouver au Muséum (voir dernière photographie de l'article).
CC by-sa Muséum de Toulouse.
Une flûte presque intacte en os de vautour, vieille de près de 40 000 ans
Les premiers outils sonores - dans le sens de matériaux et objets exploités ou créés dans le but de produire un son – qui font consensus, ont été découverts en Europe Centrale et Occidentale et dateraient du Paléolithique supérieur. A l'automne 2008, l'équipe allemande de Nicholas Conard a trouvé dans la grotte de Hohle Fels, au Sud Ouest de l'Allemagne, une flûte en os de vautour presque complète, de près de 22 cm de long et 8 mm de diamètre, percée de 5 trous. Les chercheurs ont également collecté au même endroit des fragments de flûte en ivoire, dont la confection, due à la fragilité de l'ivoire et à la courbure de la corne de mammouth, est autrement plus difficile que celle des flûtes en os d'oiseau. D'autres fragments de flûte en ivoire ont été trouvés non loin de là, à Vogelherd. Ces découvertes enrichissent les résultats de fouilles plus anciennes effectuées dans cette même région du Jura souabe, en particulier sur le site de Geißenklösterle. Elles témoignent toutes d'une « tradition musicale » très ancienne, il y a probablement 42 000 ou 43 000 ans, à la période aurignacienne, au début du Paléolithique supérieur, selon les dernières datations par thermoluminescence de l'équipe de Tübingen. Cependant, le degré de sophistication de ces flûtes atteste d'une maîtrise certainement bien antérieure, ce qui pourrait repousser encore l'apparition de l'art musical chez les hominidés.
Plus proche de nous, la grotte d'Isturitz au pays basque a dévoilé une série remarquable de flûtes percées, confectionnées durant une période qui s'étend d'environ 30 000 ans avant notre ère jusqu'au magdalénien (17 000-10 000 ans). Ce site regroupe la plus forte concentration de flûtes paléolithiques connue. Sur la plus ancienne de ces flûtes, la régularité de l'écart entre les trous traduit une élaboration poussée, une recherche de hauteurs précises de sons, une notion d'intervalles. Leur analyse acoustique suggère également que ces instruments offraient une grande variété d'interprétations mélodiques.
Légende et crédit des photographies : L'ossature de l'aile du vautour (Gyps fulvus) dont l'envergure est comprise entre 2m30 et 2m65 est idéale pour fabriquer de grandes flûtes. Objets : flûte en os de vautour découverte dans la grotte de Holhe Fels datant de plus de 35 000 ans, Copyright: Université de Tübingen. photo vautour : copyright Kookaburra 81
Lithophones et figures pariétales
Certaines grottes sont ornées de draperies ou de colonnes formées de calcite, composée essentiellement de carbonate de calcium (CaCO3) enrichi d'impuretés (cations métalliques) qui leur donnent des colorations somptueuses. Parfois ces draperies sont sonores lorsqu'on les frappe : ce sont des lithophones naturels. Les caractéristiques acoustiques des lithophones enregistrés dans quelques unes de nos grottes préhistoriques sont les mêmes que celles des instruments à percussion en général (Michel Dauvois). Nos ancêtres semblent avoir découvert leur sonorité, puisque les plus sonores ont conservé des traces de percussion : elles sont entaillées, voire parfois cassées comme au Portel (Ariège), à Cougnac (Lot) ou Cosquer (Bouches du Rhône), témoignant des talents rythmiques des musiciens préhistoriques et de leur engouement...
Les lithophones sont souvent associés à des dessins pariétaux montrant la diversité des talents artistiques des hommes préhistoriques. Malheureusement, malgré leur richesse, très peu de gravures rupestres évoquent la musique. Une exception notable est celle de la grotte des Trois Frères à Montesquieu-Aventès (Ariège) dont les peintures sont datées d'environ - 14 000 ans. L'une d'entre elles représente un être mi-homme mi-animal, nommé « le petit sorcier à l'arc musical ». Cette dénomination vient du fait qu'il semble jouer de cet instrument dont il existe de nombreuses variétés en Afrique, variétés qui diffèrent par le type de résonateur employé : bouche, calebasse, pot. Même si l'interprétation de cette peinture reste controversée -une relecture récente suggère qu'il pourrait s'agir d'un instrument enfoncé dans une narine (Michel Dauvois)- il n'en reste pas moins que la gravure illustre bel et bien la maîtrise d'un instrument musical par les magdaléniens et leur capacité à représenter cet art d'accommoder les sons de manière mélodieuse.
Photo : musicien OBU jouant de l'arc musical, Obu man playing a musical bow. This instrument was included in Thomas' large collection of ethnographic artefacts purchased by the Museum in 1918. Silver-gelatin print. Obubra, Nigeria, 1909-1913. Northcote Thomas Collection. P.31234.NWT. Domaine public.
En premier plan de la photographie ci-dessus : vitrine ethnologie musicale (exposition permanente du Muséum d'histoire naturelle) en écho à l'exposition temporaire 2013 "Une odyssée musicale" qui a lieu au musée Saint-Raymond pour laquelle le Muséum de Toulouse a prêté des objets des ses collections. CC by-sa Muséum de Toulouse.
Ainsi, les nombreux vestiges d'instruments musicaux et les rares iconographies témoignent d'une pratique instrumentale et donc musicale chez les tous premiers hommes modernes arrivés en Europe. La musique était partie intégrante de leurs innovations culturelles, au même titre que l'art figuratif, la maîtrise des ornements et la capacité à représenter des mythes. Si la musique au Paléolithique supérieur n'a pas directement amélioré le confort de vie de nos ancêtres et leur potentiel reproductif, elle a pu contribuer au maintien de larges réseaux sociaux et ainsi faciliter l'expansion démographique et territoriale des hommes modernes au détriment des populations néanderthaliennes, plus isolées et culturellement plus conservatrices.
Article rédigé par Dominique Morello (chercheuse CNRS, détachée au Muséum).
Mis en ligne le 5 avril 2013.
Sélection documentaire (articles, livres, liens) à retrouver à la bibliothèque Cartailhac du Muséum de Toulouse (entrée libre) : télécharger le PDF.