
A la fin des années 70, le Dr Carl Woese et ses collègues de l'Université de l'Illinois (USA) proposent une division du monde vivant en 3 domaines : les bactéries, les eucaryotes et les archées.
Des championnes de l'extrême

photo : Lacs hypersalé des Andes peuplés par des communautés microbiennes pigmentées adaptées à des concentrations salines extrêmes.
La microbiologie des fonds marins a connu un rebond spectaculaire à la fin du XXème siècle avec la découverte de véritables oasis de vie, à proximité de sources hydrothermales, de sources froides des marges continentales ou encore de massifs de matière organique comme des carcasses de baleine.

Ces milieux se caractérisent par une
absence totale de lumière. Le
réseau alimentaire de ces écosystèmes profonds
repose donc sur des microbes qui tirent leur énergie non pas de la photosynthèse, impossible en ces profondeurs, mais
de l'oxydation ou de la réduction de composés minéraux comme le soufre,
souvent en symbiose avec des organismes complexes comme
des crevettes ou des vers marins, Les microbes que l'on trouve dans ces biotopes sont
pour la plupart des extrêmophiles, c'est à dire des organismes qui se sont adaptés à des conditions de température, de salinité ou de pression hydrostatique jugées, il y a peu, incompatibles avec la vie. Les archées dominent souvent ces communautés extrêmophiles ; on trouve ainsi des
hyper-thermophiles qui apprécient les températures de 60°C, voire 110°C pour certaines, des
psychrophiles qui sont elles adaptées aux basses températures, des
halophiles spécialistes des milieux à très forte salinité, et
d'autres qui ne tolèrent que les milieux hyper acides ou hyper alcalins,
ou des pressions hyperbares (piezophiles).
Très souvent, les extrêmophiles combinent des adaptations à ces différentes conditions physicochimiques.

Image en microscopie électronique d'une archée hyperthermophile abyssale: Thermococcus fumicolans © Ifremer
Cependant, les archées ne sont pas spécifiques des fonds marins : les explorations récentes des milieux hostiles de notre planète révèlent la présence, partout ou presque, de microorganismes, laissant supposer qu'il n'existe pas d'environnements stériles. Ainsi,
les archées ne sont pas des formes de vie "exotiques" ou des curiosités de la nature, mais
représentent une partie substantielle de la biomasse terrestre.
Leur inventaire est loin d'être clos et l'exploration des abysses et la connaissance des communautés microbiennes qui y vivent est un des grands enjeux scientifiques du XXI siècle.
Des microorganismes pas comme les autres!
Les archées possèdent de nombreuses spécificités moléculaires. En voici quelques unes, pêle-mêle : la
membrane qui les isole du monde externe ne contient pas les mêmes lipides que ceux des autres micro-organismes ;
certains de leurs gènes ne possèdent pas d'équivalent chez d'autres microbes et le
génome de certaines espèces d'archées compte près de 90% de gènes inconnus ! Certaines archées possèdent des
métabolismes uniques. Par exemple, les archées des sédiments marins, des tourbières et des bassins d'eau douce produisent du méthane ; d'autres abondantes dans les sols, les océans et les lacs profonds sont capables d'oxyder l'ammoniaque.
Ces espèces sont ainsi susceptibles de jouer des rôles importants dans les cycles du carbone et de l'azote. Leur rôle dans la biosphère commence juste à être appréhendé par les chercheurs. De manière remarquable,
les archées possèdent leurs propres virus, différents de ceux qui s'attaquent aux bactéries et aux cellules eucaryotes. Ainsi, la plupart des virus infectant les archées, en particulier les archées hyperthermophiles, produisent des virions de structures inconnues dans les deux autres domaines.
En dehors de ces spécificités,
les archées possèdent aussi des similarités avec les bactéries, notamment les
enzymes responsables de leur métabolisme. En revanche
les processus moléculaires fondamentaux responsables de la division cellulaire, de l'expression et de la maintenance du génome, de la synthèse des protéines etc, sont
plus proches de ceux que l'on trouve dans les cellules eucaryotes que chez d'autres procaryotes.
Les archées se révèlent ainsi d'excellents modèles d'étude pour comprendre l'évolution et le mode d'action basique des machines cellulaires complexes que l'on trouve dans les cellules humaines.
Si présentes et pourtant si discrètes
Le caractère extrêmophile des premières archées décrites associé à la découverte des sources hydrothermales a conduit à considérer les archées comme une
forme de vie primitive, d'où leur nom
Archaea (du grec
ἀρχαῖος), possiblement liée aux premières formes de vie sur Terre.
Cette vision est remise en cause par l'utilisation d'outils d'analyse moléculaire modernes qui donnent
accès aux contenus génétiques d'une population d'un environnement complexe appelés
(méta)génomes et permettent ainsi de découvrir la biodiversité des communautés microbiennes naturelles, telles qu'on les découvre dans l'environnement.
Ces analyses ont montré que les archées, loin d'être confinées aux milieux extrêmes,
sont ubiquitaires et abondantes dans tous les environnements terrestres. Elles représentent notamment une proportion très importante des micro-organismes marins et des sols.

Image de communautés d'Archées méthanotrophes et de bactéries sulfato-réductrices du sédiment, © Ifremer
Plus étonnant encore, il s'avère que certaines archées sont
capables de symbioses avec des organismes complexes comme des éponges. Certaines archées sont également bien présentes dans le microbiote intestinal qui joue un rôle important en santé humaine. Aucun pathogène n'a été identifié à ce jour chez les archées, mais leur rôle dans ces communautés microbiennes intestinales demeure très mal connu.
Que nous apprennent les archées ?
Tout d'abord, de par leur position,
un groupe d'organismes distincts des eucaryotes et des bactéries, les archées constituent des
modèles pour comprendre les origines et les mécanismes d'évolution du vivant (
Nature. 2015 May 14;521(7551):173-9. doi: 10.1038/nature14447. Epub 2015 May 6).
L'étude de leurs génomes et de leurs protéines permet d'identifier les processus communs à tous les types cellulaires ou ceux qui sont caractéristiques d'adaptation à des modes de vie particuliers, parfois extrêmes. Ainsi l'étude des protéines des archées extrêmophiles montre que les
processus enzymatiques et l'intégrité des protéines peuvent être maintenus dans des conditions de haute température, de salinité ou de pression
sans qu'une modification drastique des structures moléculaires soit nécessaire. La cristallographie, la résonnance magnétique nucléaire ou la microscopie électronique sont utilisées pour déterminer
la structure des protéines des archées extrêmophiles souvent plus stables
du fait des modifications de leurs propriétés biophysiques. La survie des archées dans ces conditions ou en présence de métaux toxiques ou encore exposées à des radiations ionisantes nécessite une
optimisation des processus
qui permettent de
maintenir l'intégrité de leur constituants, ADN, ARN et protéines.
L'étude des mécanismes cellulaires sous-jacents permet de mieux comprendre la mise en place de certaines pathologies humaines.
De plus, les archées possèdent des versions simplifiées de systèmes que l'on retrouve dans les cellules humaines. Par exemple, le modèle archéen est à l'origine de la description structurale de machineries cellulaires complexes et universelles comme le ribosome ou le protéasome, impliqués respectivement dans la traduction et la dégradation des protéines.

S
tructure moléculaire du protéasome humain (en vert), une machine cellulaire impliquée dans le cancer. Son homologue Archéen est représenté en rouge.
Ce modèle est source de nouveaux médicaments contre le cancer (comme la Bortézomib). Les biotechnologies « empruntent » aussi aux archées des enzymes adaptés à des processus industriels nécessitant des conditions de température, de salinité ou de pression élevées. La biodiversité des archées est également une mine de nouveaux biocatalyseurs encore largement inexploitée.
En résumé, une quarantaine d'années après leur découverte, le caractère "commun" et non plus seulement extrême des archées est maintenant avéré. Leur diversité et leurs particularités sont largement décrites mais le rôle qu'elles jouent dans les communautés microbiennes des océans des lacs et des sols ainsi que leurs éventuelles implications en pathologie humaine ou dans des processus de symbiose reste encore obscur. Pour répondre à ces questions, les chercheurs tentent d'identifier des molécules biocides, c'est à dire capables de détruire spécifiquement les archées sans détruire d'autres microorganismes. Plus généralement, les scientifiques cherchent à définir le rôle des archées dans le maintien des équilibres géo-chimiques de la planète. Ainsi 85% du méthane qui contribue de manière importante à l'effet de serre ainsi qu'au cycle du carbone est produit par les communautés archéennes. Les archées sont également des acteurs importants du cycle des nitrates.
Mieux comprendre le rôle des archées dans les écosystèmes doit nous permettre de mieux maîtriser l'état de santé de la planète et anticiper les répercussions consécutives aux déséquilibres actuels.
Auteurs :
Bruno Franzetti , Directeur de recherche, Grenoble
Céline Brochier-Armanet, Professeur UCBL, Lyon
Mohamed Jebbar, Professeur UBO , Brest
Patrick Forterre , Professeur Paris Sud, Paris
Hannu Myllykallio, Professeur Ecole polytechnique , Palaiseau
Michel Drancourt, Professeur Hôpital de la Timone, Marseille
Béatrice Clouet d'Orval, Chargé de recherche, Toulouse
Remerciements à Dominique Morello, chercheure CNRS détachée au Muséum pour sa relecture et son aide à synthèse.
Article mis à jour le 29 juin 2015, mis en ligne le 10 mars 2015 sur la rubrique PARLONS SCIENCES