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Une expédition scientifique à travers l'océan Arctique

Une expédition scientifique à travers l'océan Arctique
L’expédition « Transarc II » (Trans-Arctic survey of the Arctic Ocean in transition) organisée par l’AWI (Alfred Wegener Institute) s’est déroulée dans le grand nord Arctique à bord du brise-glace Allemand «Polarstern ». Cette expédition de deux mois a pris fin le 15 octobre 2015 ; elle avait pour but d’installer en Arctique un réseau de systèmes de mesures innovants pour la prévision du climat. Les données récoltées permettront de mieux prédire les changements climatiques du futur et leurs conséquences. Avec Jean-Philippe Savy, chercheur post-doctoral au LEGOS, mettons moufles et bonnets, accrochons-nous aux bouées et laissons-nous dériver au gré des vents dans les frimas du Grand Nord…

 

Le bateau : un brise-glace qui aime la banquise

 
Pendant ces deux mois d’expédition, le brise-glace a parcouru 12500 km à travers les hautes latitudes de l’Arctique et a fait une escale historique au Pôle Nord. 
 
 La route prise à travers l’Arctique par le Polarstern pendant les 2 mois de l’expédition Transarc II.
La route prise à travers l’Arctique par le Polarstern pendant les 2 mois de l’expédition Transarc II.
 
Le départ s’effectue depuis le petit port Norvégien de Tromso le 17 Août 2015. Ce jour-là au petit matin, le soleil est timide et peine à transpercer cette brume naissante qui annonce les prémices de l’hiver polaire. Le majestueux brise-glace a été amarré au quai « Brevika » et attend ses nouveaux invités dans le sourd ronronnement de ses puissants moteurs. Les émotions ressenties au moment d’un départ pour deux mois dans le grand nord sont complexes. Lorsque le bateau se libère du quai et ré-enroule ses amarres, personne ne parle par pudeur mais nos regards trahissent nos sentiments mêlés alors d’ excitation, d’inquiétudes, de tristesse et de fierté. Les premiers jours de mer sont toujours particuliers ; ils permettent de trouver ses repères à bord, de s’habituer à ce nouveau décor qui tangue continûment et de s’adapter à un nouveau rythme de travail. A l’extérieur, la température chute de jour en jour et seulement 2 semaines après le départ, la température sur le pont n’est plus que de -6°C ! L’action combinée du vent sur les températures continuellement négatives appelée « wind chill » est tout particulièrement redoutable pour les organismes et le matériel. Tout ce qui n’est pas protégé devient systématiquement froid et finit par être gelé. En conservant notre cap plein Nord, les parcelles de glace flottant à la surface de l’Océan se multiplient, s’épaississent et se resserrent inexorablement autour de la coque du bateau. Une fois le cercle polaire franchi, le Polarstern est enfin chez lui et s’orne de son plus beau costume de glace. 
 
le Polarstern entre dans son élément : il s’enfonce lentement dans la banquise.
Le Polarstern entre dans son élément : il s’enfonce lentement dans la banquise.
 

La vie à bord : il n’y a pas de quoi chômer

 
Tests préliminaires des différents capteurs de la plateforme IAOOS en vue de son futur déploiement.A bord, 54 scientifiques (30 hommes et 24 femmes) et 43 hommes d’équipage (40 hommes et 3 femmes) se relaient par rotations successives de 4h, pour larguer à l’eau différents appareillages. Les quarts fractionnent les journées et rythment le travail des scientifiques et des membres d’équipage. Les équipes se croisent, échangent les consignes à suivre autour de grand mugs de café et animent les ponts du bateau nuit et jour. Une fois le quart terminé, il est temps pour nous d’aller à l’extérieur sur le pont arrière du bateau afin de préparer la prochaine plateforme à déployer. Cette phase cruciale de tests permet de vérifier le bon fonctionnement des communications entre les différents capteurs placés sur les bouées et l’unité centrale appelée « le cerveau ». Les capteurs permettent l’acquisition de données atmosphériques et océaniques. Ces données enrichissent nos connaissances des cycles biogéochimiques et permettent d’améliorer les modèles numériques du changement climatique et de son impact sur les processus chimiques, biologiques et physiques autour du pôle nord.
 
Photos :Tests préliminaires des différents capteurs  de la plateforme IAOOS en vue de son futur déploiement.
 
Tests préliminaires des différents capteurs de la plateforme IAOOS en vue de son futur déploiement.
Les sites de déploiement des plateformes sont stratégiquement choisis afin qu’elles restent prises dans les glaces de l’Arctique pendant de longs mois et qu’elles accumulent de précieuses données. Afin de rejoindre la position GPS de chaque site appelé « station », le Polarstern butte, ouvre légèrement et s’immisce à travers l’épaisse banquise. La passerelle du bateau est alors installée sur la glace et le travail de quart pour les scientifiques qui travaillent sur la banquise est suspendu. 
Le travail sur la banquise en Arctique ne s’improvise pas. La connaissance technique des protections thermiques adéquates à porter en fonction des conditions météorologiques, la planification et l’organisation du travail, la préparation minutieuse de son matériel, l’anticipation des changements de météo et l’évaluation des conditions d’hypothermie sont autant d’éléments qui doivent être préparés et réglés. Ils sont nécessaires à la prévention des accidents, au succès du déploiement et sont constitutifs de la réussite de la mission.
 
L’équipement des scientifiques est installé sur des luges que l’on tracte avec des motoneiges avant d’être déployé sur la glace. 
Transport sur la banquise d’une bouée IAOOS à l’aide de luges et d’une moto-neige
Transport sur la banquise d’une bouée IAOOS à l’aide de luges et d’une moto-neige.
 
Une fois l’instrumentation scientifique déposée sur le site de déploiement, le travail peut commencer. 
Préparation du déploiement de la plateforme IAOOS
Préparation du déploiement de la plateforme IAOOS.
 
Les longues heures que l’on passe à installer ces plateformes sont souvent effectuées sous le regard intrigué de la population autochtone d’ ours polaires. 
Un ours polaire en train de glisser sur un toboggan de glace
Un ours polaire en train de glisser sur un toboggan de glace.
 
Ceux-ci, sans doute agréablement surpris d’avoir de nouveaux voisins, sont généralement d’une curiosité débordante qui complique le travail sur la banquise. A tour de rôle, les scientifiques qui ont reçu un entrainement spécifique endossent le rôle de gardien « bearguard ». Ils veillent à ce que ces ours si mignons, ne viennent pas manger les barres en chocolat que nous avons dans les poches, ne prennent pas les mâts GPS pour des sucettes géantes et les instruments High-tech pour des ballons de foot ! 
 
Le bearguard assure la sécurité des scientifiques qui travaillent sur la banquise.
Le « bearguard » assure la sécurité des scientifiques qui travaillent sur la banquise.
 
Après plusieurs semaines à bord du brise-glace dans les hautes latitudes de l’Arctique, les repères habituels que nous avions s’effacent peu à peu. L’absence de jour de repos, la routine des quarts, les nuits à déployer des instruments sur la banquise, le jour polaire dépourvu de nuit et l’isolement avec le monde extérieur facilitent la perte des repères habituels et seul le calendrier permet de mesurer le temps qui s’écoule...
 
 
Le projet IAOOS (Ice, Atmosphere, Arctic Ocean Observing System)
Contact: Christine Provost (LOCEAN), Jacques Pelon (LATMOS)
 
Son principal objectif est de déployer et maintenir un système intégré collectant en temps réel des observations simultanées de l’océan, la glace, la neige et l’atmosphère en Arctique. Chaque année des plateformes autonomes sont déployées sur la banquise et en eaux libres de glace. Elles dérivent en fonction des principaux courants, principalement le Gyre de Beaufort et la Dérive Transpolaire Arctique. Dans l’océan, elles permettent des mesures, entre 0 et 1000 m de profondeur, de température, de salinité et, à terme, de biogéochimie. Chaque plateforme est constituée d'un système de flottaison et de plusieurs instruments scientifiques intégrés permettant de faire des sondages verticaux de l’atmosphère (troposphère et stratosphère), de la glace, et de l’océan. Les bouées d’observation transmettent par liaisons satellites, simultanément et de façon autonome, des informations en quasi temps réel de l’état de l’océan, de la glace de mer et de la basse atmosphère.
 
Plateforme IAOOS déployée à travers la banquise Arctique
Plateforme IAOOS déployée à travers la banquise Arctique
 

La récupération de Bella et Agathe

 
Récupération de planeurs sous-marin en mer du Groenland Quelques jours avant le retour, le bateau entre en mer du Groenland par le sud du détroit de Fram. L’équipage part à la recherche de deux planeurs sous-marins, des gliders, déployés lors d’une expédition menée par le Polarstern en avril dernier. Cette campagne avait pour but de réaliser une série temporelle de mesures CTD (pour Conductivité ; Température ; Depth : profondeur) permettant d’étudier les flux d’eau douce qui s’écoulent d’Ouest en Est, depuis le continent Groenlandais vers la mer. La mesure de ces flux est particulièrement intéressante puisqu’elle permettra de mieux comprendre les conséquences de la fonte des glaces sur la circulation des masses d’eau en Arctique. 
Photo : Récupération de planeurs sous-marin en mer du Groenland 
 
 
 

Au revoir Arctique

Sur le grand écran radar de la passerelle, la flèche directionnelle du cap à suivre vient de tristement s’inverser : elle est orientée maintenant plein Sud. Les températures de l’eau et de l’air affichent irrespectueusement un insolent 12,4°C et 10,2°C. Le bateau fait route vers Bremerhaven, la station finale qui mettra fin à l’expédition Transarc II-PS94. En ce début d’hiver, le soleil se fait de plus en plus timide et laisse sa place au règne hivernal. 
 
Les derniers rayons de soleil sur la banquise Arctique avant que les ours ne retrouvent leur quiétude dans l’envoutante nuit polaire.
Les derniers rayons de soleil sur la banquise Arctique avant que les ours ne retrouvent leur quiétude dans l’envoûtante nuit polaire.
 
D’ici quelques semaines, la température flirtera avec les -40°C, le blizzard balaiera cette terre de glace en soulevant d’épaisses volutes de neige alors que la visibilité sera réduite à quelques mètres seulement. Les ours endureront ces conditions climatiques et retrouveront leur quiétude. Un devoir d’humilité, de respect et de protection envahit les scientifiques. Le ciel polaire s’embrase d’arabesques vertes et en cette dernière nuit du 15 octobre, l’expédition « Transarc II –PS94 » semble plus être un rêve qu’une réalité.
 
Le ciel s’embrase sous nos yeux et transforme l’expédition Transarc II – PS94 en rêve éveillé.
Le ciel s’embrase sous nos yeux et transforme l’expédition « Transarc II – PS94 » en rêve éveillé. 
 
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Jean Philippe Savy est Chercheur post-doctoral au LEGOS (Observatoire Midi Pyrénées). 
 
Toutes les photos sont dues à Dr. Mario Hoppmann, Alfred-Wegener-Institute, AWI. 
 
Article mis en forme par Dominique Morello, chargée de mission CNRS, mis en ligne le 16 novembre 2015. 
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